Tel est pris qui croyait prendre
Le 1er novembre 2024
L’élégance des mots rivalise avec l’élégance des décors pour nous conter délicatement cette exquise histoire de vengeance sur fond de féminisme.
- Réalisateur : Emmanuel Mouret
- Acteurs : Cécile de France, Édouard Baer, Natalia Dontcheva, Alban Casterman, Laure Calamy, Alice Isaaz, Jean-Michel Lahmi
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Distributeur : Pyramide Distribution
- Durée : 1h49mn
- Date télé : 1er novembre 2024 21:05
- Chaîne : France 5
- Date de sortie : 12 septembre 2018
Résumé : Madame de La Pommeraye, jeune veuve retirée du monde, cède à la cour du marquis des Arcis, libertin notoire. Après quelques années d’un bonheur sans faille, elle découvre que le marquis s’est lassé de leur union. Follement amoureuse et terriblement blessée, elle décide de se venger de lui avec la complicité de Mademoiselle de Joncquières et de sa mère...
Critique : Après Caprice et Une autre vie, Emmanuel Mouret renoue avec le schéma du triangle amoureux qui lui est cher. Cette fois, il choisit d’adapter un épisode de Jacques le Fataliste de Diderot déjà adapté par Robert Bresson en 1945 sous le titre Les dames du bois de Boulogne et se lance dans l’aventure d’un film d’époque. Il en profite pour faire la part belle à des décors prestigieux et au langage littéraire joliment désuet du 18ème siècle servi par des comédiens piquants qui, pour notre plus grand plaisir, manient avec une habileté rare, démesure et délicate civilité.
- Crédit photo © Pascal Chantier et Moby Dick Films
Madame de la Pommeraye (Cécile de France) est une veuve encore jeune et toujours bien jolie. Elle n’a pas été très heureuse avec son premier mari et ne tient donc pas à se lancer dans une nouvelle aventure amoureuse. Séducteur invétéré, le marquis des Arcis (Edouard Baer) jure de la faire changer d’avis et parvient à ses fins. Pourtant, quand elle comprend un peu plus tard que le marquis s’est peu à peu détachée d’elle, avec une courtoisie pleine de rouerie, elle feint d’être elle aussi lassée de leur relation, poussant le machiavélisme jusqu’à s’accuser d’avoir elle-même trahi leurs serments de fidélité. Soulagé de constater qu’ils partagent les mêmes sentiments quant à la fin de leur histoire « je vous avouerai que l’histoire de votre cœur est mot à mot l’histoire du mien. Tout ce que vous vous dîtes, je me le suis dit », le marquis lui propose son amitié. Vexée et sous prétexte d’agir pour la défense des femmes « Si aucune âme juste ne tente de corriger les hommes, comment espérer une meilleure société ? », elle organise de façon magistrale une machination amoureuse destinée à punir son amant inconstant et nous régale par la même occasion d’un savant entrelacement de jeux de pouvoir et de séduction, étayés d’arguments brillants et de répliques savoureuses.
- Crédit photo © Pascal Chantier et Moby Dick Films
Tout en prenant soin de ne pas se perdre dans des contemplations inutiles, une mise en scène ample et gracieuse nous transporte dans les immenses jardins magnifiquement entretenus du château où batifole, entre raffinement discret et éloquence harmonieuse ce couple judicieusement assorti qui monopolise l’attention. Cécile de France dont l’espièglerie n’a d’égal que la fraîcheur passe avec le même talent de l’humour à la manipulation, de la légèreté à l’autoritarisme pendant qu’Edouard Baer, dont la mise vestimentaire savamment négligée renforce sa distinction naturelle, s’approprie la langue du XVIIIè siècle comme si c’était la sienne et ils forment un duo fascinant. La luxuriance des lieux, la beauté des costumes, l’aisance des personnages et la fluidité des dialogues procurent une sensation de plénitude. La présence de l’amie de Mme de Pommeray, arbitre des excès de ces deux êtres passionnés, et incarnée par une Laure Calamy touchante de douceur et de délicatesse, complète fort joliment ce tableau.
Dès lors que l’histoire d’amour tourne court, la caméra délaisse les pelouses verdoyantes et les étangs dorés pour se glisser dans le secret des salons lambrissés de la belle demeure. Le ton se fait moins primesautier pour devenir plus intrigant. Car en dressant ces quatre portraits de femmes toutes différentes mais toutes animées d’une détermination implacable, Emmanuel Mouret scrute avec une délectation non feinte et ce sens de la minutie qui le caractérise les méandres de l’âme féminine, entre perfidie et passion.
Prenant l’allure d’une énigme policière, le récit saute de découvertes en rebondissements sans jamais faiblir. La confrontation habilement menée entre la timide et mystérieuse Mademoiselle de Joncquières, personnage tout en retenue auquel Alice Isaaz prête fort à propos son silhouette gracile, son regard candide et son teint diaphane, sa mère (Natalia Dontcheva saisissante de sincérité), toutes deux prisonnières d’une vie qu’un revers de fortune leur a imposée, et la souriante mais démoniaque Madame de la Pommeraye préméditant son forfait à la manière d’une tueuse implacable, bien peu soucieuse des dégâts collatéraux, nous tient en haleine de bout en bout jusqu’à cette fin inattendue et troublante qui fait de ce récit intemporel une gourmandise à la saveur acidulée dont on reprendrait bien une part.
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Sweet heart 3 mars 2021
Mademoiselle de Joncquières - Emmanuel Mouret - critique
Ce fut un peu difficile au début avec Cécile de France, qui n’est pas dans son registre mais qui s’en sort pas mal du tout, bien qu’un peu trop appliquée par désir de bien faire. Elle est juste et sert parfaitement le texte, difficile sûrement à mémoriser tant il est riche. Edouard Baer est bien sûr très à son aise, il n’y avait même pas de question préalable à se poser, mais on a parfois de mauvaises surprises. Ce rôle lui va comme un gant et il évite l’écueil de trop en faire, ce qui peut lui arriver. Dandy mâtiné d’un brin de préciosité, le XVIIIeme lui sied à merveille mais son débit est parfois un peu rapide, quand celui de sa partenaire, plus lent, peut paraître scolaire.
Un texte et des dialogues délicats et délicieux, comme ce siècle sait en inspirer et je n’ai pas pu m’empêcher de penser à l’interprétation tout en finesse de Michel Serrault dans Un coeur oublié, une pépite.
Le tout baigne dans les couleurs de Watteau et les costumes sont à la hauteur.
Moins féroce que Les Liaisons dangereuses, le propos se teinte de moralisme - ou de moralité - quand la femme évincée, qui se venge cruellement, invite ses semblables à plus souvent et davantage sortir de leur condition de victime systématique du bon-vouloir des hommes.
La conclusion incite quand même à l’indulgence envers cette femme blessée dont on a pu partager le ressentiment, d’autant que la "créature", elle-même victime, en trouvant un époux qui finalement surmonte sa honte d’avoir été trompé, lui offre la rédemption.