Littérature étrangère
Le 8 octobre 2019
Tout en finesse et loin des effets faciles, Elsa Osorio nous plonge au coeur du traumatisme argentin. Quand le mécanisme de l’État détruit jusqu’au principe de l’identité.
- Auteur : Elsa Osorio
- Editeur : Métailié
- Genre : Roman
- Nationalité : Argentine
- Traducteur : François Gaudry
- Date de sortie : 4 novembre 2002
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
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Résumé : Après vingt ans d’ignorance puis de quête, Luz a enfin démêlé les fils de son existence. Elle n’est pas la petite-fille d’un général tortionnaire en charge de la répression sous la dictature argentine ; elle est l’enfant d’une de ses victimes. C’est face à son père biologique, Carlos, retrouvé en Espagne, qu’elle lève le voile sur sa propre histoire et celle de son pays. « Je me suis acharnée à faire la lumière sur cette histoire d’ombres. »
Notre avis : 1976. La dictature argentine pose ses marques pour sept ans d’enfer. Enlèvements, disparitions, tortures, trente mille personnes laisseront leur vie dans ce déferlement de folie. Du fond de l’horreur, pour ne pas céder au désespoir, des femmes vont s’unir pour constituer un des groupes d’opposition les plus déterminés : les grands-mères de la Place de Mai. Inlassablement, leur foulard blanc sur la tête, brodé des noms des disparus, elles font le tour du monument de la place, brandissant les photos d’une fille ou d’un petit-fils. Elles ont lutté sans relâche pour hurler au monde l’horreur ordinaire de ces disparitions, de ces filles enlevées en fin de grossesse dont on n’a plus jamais rien su. C’est aussi grâce à leur rage de savoir qu’on a appris, bien plus tard, même si elles-mêmes le savaient déjà, que les bébés n’étaient pas tués, mais donnés à des dignitaires de la junte militaire, en falsifiant ou éliminant les actes de naissance. Des milliers d’enfants ont été ainsi élevés par les assassins de leurs parents, dans la haine des "communistes subversifs" et l’admiration de l’armée et des sauveurs de la nation.
Elsa Osorio restitue cette histoire terrible à partir de récits ordinaires. Les secrets trop lourds à porter, les doutes qui s’infiltrent, les infimes détails qui font resurgir les souvenirs, la souffrance. "C’est comme une bouffée du passé, la terreur de ces temps sauvages." C’est l’histoire sans cesse répétée de ceux qui savaient et ne voulaient pas voir, et de ceux qui ne trouveront un peu de paix que dans la vérité. "Tu sens maintenant combien te fait mal tout ce qui s’est passé dans ton pays et devant quoi tu as gardé les yeux obstinément fermés." Luz, comme son père, ont en commun ce sentiment de ne pas mériter la confiance des autres. Des vies construites sur le mensonge, la dissimulation. La conviction d’une absolue illégitimité face à la souffrance des autres. La honte. Et Luz se raccroche désespérément à cette idée qu’elle n’est peut-être pas la petite fille de ce tortionnaire. Qu’elle a peut-être été volée, qu’elle est peut-être, elle aussi, issue de l’horreur et de la souffrance. Et c’est cet espoir, cette certitude même, qui lui permet de résister à son milieu, de se battre, d’aimer.
La naissance de son propre enfant lui renverra de plein fouet ce passé incertain et lui donnera la force de savoir, quoi qu’il en coûte. "Pleurer avec quelqu’un qui souffre de la même chose n’est pas pareil que ces larmes solitaires, stériles, parce que c’est savoir qu’il y a un temps pour les larmes et un temps pour l’action."
Le sujet revient régulièrement dans l’actualité, réactivé par les amnisties et le chaos qui frappe aujourd’hui l’Argentine. Elsa Osorio en fait un roman pudique, laissant de côté les détails scabreux et l’horreur complaisante. Luz ou le temps sauvage a l’élan des grands récits qui rendent universelle l’histoire de chacun, et si l’émotion transparaît à chaque ligne, on est loin du mélodrame et de l’effet facile. Le texte s’insinue comme une histoire à la fois lointaine et trop proche... Ça aurait pu être moi.
Elsa Osorio, Luz ou le temps sauvage, (A veinte años, Luz, traduit de l’espagnol (Argentine) par François Gaudry), Métaillé, 2002, 354 pages, 10 €
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