American parano
Le 24 octobre 2005
Ellis effectue une rotation à 180° et s’interroge sur le statut d’écrivain et celui de fils. Un roman aussi déroutant qu’abouti.
- Auteur : Bret Easton Ellis
- Collection : Pavillons
- Editeur : Robert Laffont, Pocket
- Genre : Thriller, Roman & fiction
- Date de sortie : 20 octobre 2005
Après Glamorama, Bret Easton Ellis effectue une rotation à 180°. La période people/glam/trash laisse place à un roman qui s’interroge sur le statut d’écrivain et de celui de fils.
Revoici le fils maudit des lettres américaines, le bien nommé Bret Easton Ellis, auteur du cultissime American psycho. Pas facile, quand on trimballe une réputation pareille, de continuer de surprendre sans s’embourber dans l’auto-parodie. Ellis était évidemment le premier à avoir conscience de ce piège et a su l’esquiver de façon inattendue. Quel meilleur moyen, pour faire taire ses détracteurs, que d’anticiper leurs critiques et de s’en amuser comme un gamin ?
Alors Ellis a choisi de se mettre en scène dans Lunar Park, dans la peau d’un écrivain martyr de son œuvre qui, après avoir encaissé les coups, met tout en place pour les éviter. On s’immisce dans le quotidien tout à fait ordinaire du romancier Easton Ellis, décidé à mener une vie rangée et de stopper toute consommation de drogues et d’alcool. Le bon papa Bret prend ses quartiers dans une grande maison de la Côte Est en compagnie de l’actrice Jayne Dennis et de ses deux enfants, dont un fils qu’il n’a pas reconnu. Il donne quelques heures de cours à la fac voisine. Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Ça, c’était avant que de curieux phénomènes investissent la résidence familiale. Une peluche d’oiseau se transforme en rapace meurtrier, les meubles bougent tout seuls, un personnage étrange, sosie de Patrick Bateman, s’invite dans la maison. Mais Ellis est le seul à s’en apercevoir, accusé par sa femme d’avoir replongé le nez dans la poudre et de se remettre minable dès qu’elle a le dos tourné. Parallèlement, la police le questionne à propos d’une série de crimes, reproductions parfaites de ceux décrits dans American psycho... Ellis mène son enquête et aboutit toujours au même constat. Les indices convergent vers son père, décédé en 1992.
Et voilà comment Ellis tourne une page sans en avoir l’air. Le conflit qu’il règle, l’obsession permanente de Lunar park, c’est la mort du père. Ellis a-t-il été un fils à la hauteur ? L’indifférence du sien à son égard ne reproduit-elle pas le même schéma ? Quitte à user de ficelles dignes de Stephen King, d’exploser la logique et de se balancer du bon sens de son histoire. C’est aussi un retour sur le succès d’American psycho, les haines et les controverses suscitées par ce roman aux Etats-Unis. Et l’on apprend qu’Ellis en a eu l’idée en s’inspirant de... son père. Aussi déroutant que soit Lunar Park, il n’en reste pas moins extrêmement abouti, révélateur d’un auteur qui, à quarante ans, continue d’explorer des pistes nouvelles et de s’affranchir d’une littérature bien-pensante. Voilà déjà cloué le bec de ceux qui ne manqueront pas de lui tomber dessus.
Bret Easton Ellis, Lunar Park (Lunar Park, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Guglielmina), Robert Laffont, coll. "Pavillons", 2005, 381 pages, 20 €
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kb91 25 janvier 2006
Lunar Park - Bret Easton Ellis - La critique
Sous le couvert d’une autofiction fantastique, Bret Easton Ellis se raconte, lui, son œuvre (cf. la superbe auto-analyse du premier chapitre) et, surtout, son père.
L’écrivain se confronte à ses démons - imaginaires ou réels -, le propre desdits démons étant que ce sont, soit les personnages de ses romans, soit des objets aussi invraisemblables que sa maison (qui change à vue d’œil), sa moquette (qui pousse sans explication), ou même, la peluche Terby de sa fille !
Bret Easton Ellis tue en quelque sorte le père en mettant à nu les relations père/fils : celles, conflictuelles, qu’il a vécu avec son père mort, celles, inexistantes, qu’il entretient avec le fils qu’il a tardé à reconnaître. Il réalise cette espèce de psychanalyse à sa manière, tantôt touchante, tantôt drôle, tantôt trash, dans un exercice de style échevelé où les madeleines de Proust se transforment en mandarines et où Patrick Bateman est en fait son père !
Du grand Bret Easton Ellis, donc, qui se révèle comme jamais dans un roman fantastique, dans tous les sens du terme.
minime 10 mars 2006
Lunar Park - Bret Easton Ellis - La critique
Comment passer du récit autobiographique au thriller tout en racontant la même histoire ? « Lunar park » apporte une réponse brillante à cette interrogation. Bret Easton Ellis se dévoile autant quand il se livre à l’exégèse de sa propre œuvre que lorsqu’il décrit une maison hantée à Sherman Oaks. La ligne directrice improbable qui unit les extrêmes, c’est un homme à la fois enfant et parent qui peine à se trouver en tant qu’adulte. « Enfant », « parent », « adulte », ce sont les états du moi que distingue l’analyse transactionnelle : entre normes et pulsions, l’homme se cherche en tant que personnalité autonome. Ellis transcende la stricte narration en même temps qu’il détourne les codes du thriller « à la Stephen King ». Il se projette à la fois dans l’écrivain tourmenté, l’enfant désarçonné, le père absent ; il est aussi cette maison qui se transforme, ces personnages de romans qui s’incarnent, cette moquette qui pousse, cette peluche qui agresse, ce chien qui le déteste. L’univers du roman, c’est l’auteur, son inconscient. Bret Easton Ellis personnifie l’hypostase propre à chaque individu, centre de contradictions et de déchirements.
En plus d’être une histoire à tiroirs, « Lunar Park » est aussi un roman agréable à lire, l’écrivain Ellis possédant le talent, le sens de la phrase juste et du récit que l’on connaît depuis « Moins que zéro ». Il confirme un style unique, à l’image de l’homme Breat Easton Ellis, paradoxal (au comble de l’horreur, surgit parfois un trait d’humour irrésistible) et attachant.