Vertiges de l’amour
Le 15 juin 2023
Brûlot subversif à sa sortie, ce film de Ken Russell est devenu avec le temps un classique du cinéma anglais et la meilleure œuvre de son auteur.
- Réalisateur : Ken Russell
- Acteurs : Alan Bates, Oliver Reed, Glenda Jackson, Jennie Linden, Eleanor Bron, Vladek Sheybal , Christopher Gable
- Genre : Drame, LGBTQIA+, Film culte
- Nationalité : Britannique
- Editeur vidéo : Sidonis Calysta
- Durée : 2h10mn
- Titre original : Women in Love
- Date de sortie : 6 mai 1970
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Résumé : Dans les années 1920, en Grande-Bretagne, deux sœurs au caractère indépendant s’assument pleinement dans un métier différent. Gudrun est actrice-sculptrice tandis qu’Ursula est institutrice. Deux amis, un industriel minier et un inspecteur d’académie, sont séduits par ces deux femmes émancipées. Mais ce quatuor de personnalités aiguisées se retrouve bientôt en pleine confusion sentimentale...
Critique : Troisième long métrage de Ken Russell, Love est l’adaptation d’un sulfureux roman de D.H. Lawrence (1885-1930), auteur également connu pour L’Amant de Lady Chatterley. Le film est fidèle à l’intrigue et l’esprit du livre, tout en tranchant avec l’académisme qui a parfois caractérisé le cinéma anglais en costumes. Il faut préciser que D. H. Lawrence, qui avait écrit Femmes amoureuses en 1912, dut subir les foudres de la censure et attendre huit ans avant de voir son ouvrage publié. La fin de la Première Guerre mondiale et l’éloignement de la période victorienne avaient créé un certain sentiment de libération propice à la tolérance artistique mais aussi à un relatif relâchement des mœurs. Or, Love fut tourné à la fin des années 60, soit en pleine période de contestation, de remise en cause de l’ordre bourgeois et de révolution sexuelle. La correspondance entre les deux époques est alors manifeste, Ken Russell n’ayant pas à actualiser le contexte du matériau littéraire. Love est d’abord un portrait étonnant de deux relations amoureuses. Voulant à la fois rompre avec la norme du mariage et chercher le grand amour, Gudrun (Glenda Jackson) et Ursula (Jennie Linden) incarnent une certaine modernité romantique, et témoignent d’un attachement manifeste pour l’art et la culture, ce qui les rapproche des personnages des deux sœurs dans Retour à Howards End de James Ivory, d’après Forster.
Plus complexes sont les figures des deux hommes. Gerald Crich (Oliver Reed) est le symbole de l’entrepreneur capitaliste rapace, sans une once d’humanité, et dont le conservatisme social contraste avec une liberté sexuelle extrême. Quant à Rupert Birkin (Alan Bates), intellectuel frustré et aliéné, il cherche dans le mariage un moyen de se mouler dans le conformisme, tout en étant en quête de créativité et de liberté. Les rapports psychologiques entre les quatre personnages deviennent encore plus corsés quand est suggérée l’attirance amoureuse de Rupert envers Gerald. À cet égard, la séquence emblématique, qui est devenue la plus célèbre du film, est la lutte virile et fraternelle entre les deux hommes, nus devant un feu de cheminée. La grande force de Love est de fuir le romanesque traditionnel, et de proposer une approche à la fois glaciale et oppressante des rapports amoureux et humains en général. Aucun des personnages n’est réellement sympathique et la dureté de certaines scènes rend difficile toute identification. Car il règne dans Love une ambiance de bestialité, moins en raison de la teneur des rapports physiques entre les personnages (dans la boue, ou par surprise) que par une sensation de manque de bienveillance généralisé, étayé par la métaphore animale : si Gerald maltraite son cheval en voulant lui faire percuter un train, sa mère qui a perdu la tête agit de même envers des délégués syndicaux qu’elle livre littéralement aux chiens...
La mise en scène, à la fois elliptique et baroque, est en harmonie avec le vertige qui secoue les personnages et le spectateur, et des images aux confins du surréalisme sont désormais devenues cultes, comme la première étreinte entre Gerald et Ursula dans une campagne lumineuse. Ken Russell est ici bien épaulé par son chef-opérateur Billy Williams, qui se surpasse dans les dernières scènes en cadrant les neiges des Alpes tyroliennes. En même temps, l’exubérance formelle de Ken Russell semble contenue par le contrôle des producteurs, et le réalisateur ne tombe pas dans les outrances qui caractériseront ses œuvres postérieures, de The Music Lovers à La putain. Cela donne au film une juste mesure qui en fait un modèle d’adaptation littéraire à l’écran. Love séduit aussi par son casting sans failles, du charismatique Alan Bates à la sublime Glenda Jackson (qui décrocha l’Oscar), en passant par Vladek Sheybal et Christopher Gable en excentrique couple gay. Il faut donc redécouvrir ce classique du cinéma anglais, qui se bonifie avec le temps.
– Année de production : 1969
– Oscars 1971 : Meilleure actrice pour Glenda Jackson
– Golden Globes 1971 : Meilleur film étranger en langue anglaise
- © United Artists
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