Cinéma cinétose
Le 24 septembre 2014
Aussi pénible et fascinant qu’une fièvre bleue, le documentaire expérimental des preneurs d’otages visuels Paravel et Castaing-Taylor vous apprendra à chérir vos ravisseurs et rester à bonne distance des poissonneries.
- Réalisateurs : Lucien Castaing-Taylor - Verena Paravel
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Américain, Britannique, Français
- Durée : 1h27mn
- Date de sortie : 28 août 2013
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Aussi pénible et fascinant qu’une fièvre bleue, le documentaire expérimental des preneurs d’otages visuels Paravel et Castaing-Taylor vous apprendra à chérir vos ravisseurs et rester à bonne distance des poissonneries.
L’argument : En embarquant sur un chalutier pour dresser le portrait d’une des plus vieilles entreprises humaines, Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor témoignent, dans un flot d’images sidérant, de l’affrontement qui engage l’homme, la nature et la machine. Tourné à l’aide d’une dizaine de caméras numériques ballottées au gré du vent et des vagues, sanglées aux corps des pêcheurs, aux cordages du bateau, gommant tous repères, et où la mer et le ciel finissent par se confondre, ce documentaire nous avertit des menaces de la pêche intensive autant qu’il révèle la beauté foudroyante des entrailles de l’océan.
Notre avis : Ils sont réalisateurs, artistes vidéo et anthropologues, pratiquent les sciences comme les galeries et sont partis du port de New Bedford la Gopro scotchée au poitrail pour chasser la mer en compagnie des PGV (Pêcheurs à grande vitesse) de l’industrie piscivore. La bible des charges : fuir comme la peste la sur-dramatisation journalistique et la construction fictionnelle, objectiver le documentaire, capturer la banalité du massacre à hauteur de tripes et jouer les scaphandriers gigognes, en filmant un monstre – l’océan- depuis les entrailles d’un autre.
De ce point de vue-là, Leviathan remplit son office sans broncher. Si le film est bruyant, il est aussi quasi-muet. Une chanson de geste(s) – celle des victimes et ceux des pêcheurs – sans paroles, qui personnifie ses décors en faisant glisser sa focalisation, et laisse le soin à nos cerveaux embarqués de tirer des conclusions, nourrir des sermons, inventer une narration ou dégager un commentaire. Un objet qui, par son ultra-naturalisme même, confine au surréalisme plastique (certains plans tranche-rétine évoquent les films scientifico-poétiques de Jean Painlevé) ou théorique (le déchaînement d’images cryptiques sans barrage rationnel). Une petite ogive qui atomise la grammaire du genre, et tire l’horreur de l’hécatombe machinale vers un non-récit fantasmatique, peuplé de pêcheurs-golems œuvrant dans la bouche d’un ogre.
Au hasard des tentatives géniales, des essais malheureux et des peut-être indécidables, les documentaristes de l’impossible choisissent pour leurs caméras-magnets des points de chute insensés. Collés à la rouille d’une poulie, la corde d’un filet, l’œil d’une mouette, le coude d’un pêcheur ou la branchie d’un maquereau, les micro-objectifs hésitent entre l’abstraction industrielle, le gore humide (des plans séquences tournés à plat ventre dans le poisson mort, capables de faire vomir un écailler) et la grâce océane (les patrouilles de mouettes au niveau des vagues, les 20000 cieux sous les mers agités au fond des contre-plongées). L’œil nauséeux fatigue avant l’océan, créature ambiguë et décor vivant qui ronge, lave et imbibe cette inextricable symphonie morbide dont il faut jouir des entraves mêmes. Parce qu’il lui ressemble, avant d’être un hypothétique brûlot, Leviathan est un cri à sa sombre gloire. Un cri rauque, crispant comme un froissement de tôle, parfois beau et souvent hermétique, mais un cri neuf. Une expérience rare qui préfère la sensation au sensationnel. Un documentaire au bord des lèvres. Unique et brutal.
Pensé par des radicaux sincères, et non pas des terroristes poseurs, le film s’épuise dans ses remous immobiles, et paie évidemment le prix de ses velléités. A force de voir le thon passer, et le montage s’enliser dans ses plans les moins heureux, l’ennui pointe, hameçonne notre attention et en fait sa chose. Peu importe, il fait partie du jeu, celui d’un projet dont les éclats de beauté, les fulgurances silencieuses et les dégoûtants frissons ne sauraient exister sans ses grandes longueurs. Ouvrez bien grand l’esprit, tendez les yeux, et courez voir la chose avant qu’une escouade d’environnementalistes tapageurs ne la remonte pour en faire un argument. Par ailleurs, vous pourrez ainsi plonger le visage dans ce que Thalassa ne vous a jamais montré et penser à devenir végétalien.
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