L’enfer, ce ne sont pas les autres
Le 10 janvier 2012
D’un grand classicisme, impeccablement maîtrisé, admirablement interprété, le volet japonais du diptyque Iwo Jima de Clint Eastwood surpasse Mémoires de nos pères.
- Réalisateur : Clint Eastwood
- Acteurs : Tsuyoshi Ihara, Ken Watanabe, Kazunari Ninomiya, Ryō Kase, Hiroshi Watanabe, Evan Ellingson
- Genre : Film de guerre, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Warner Bros. France
- Durée : 2h22mn
- Titre original : Letters from Iwo Jima
- Date de sortie : 21 février 2007
Résumé : La bataille d’Iwo Jima, dans le Pacifique en 1945, vu du côté des Japonais, retranchés, en infériorité numérique et ayant perdu d’avance.
Critique : Avant même d’avoir vu Mémoires de nos pères, le premier volet du "projet Iwo Jima" de Clint Eastwood, on pressentait l’importance du second, du "point de vue japonais", partie la plus périlleuse et surtout la plus inédite du travail. De la pertinence, des choix de Lettres d’Iwo Jima dépendrait la crédibilité du diptyque. Mémoires de nos pères, complexe, bourré de flash-back, d’à-côtés politiques et de très policées dénonciations de l’idiotie de la guerre, n’avait qu’à moitié convaincu. Sobre, remarquablement filmé, Lettres d’Iwo Jima est une leçon de cinéma populaire, une fresque héroïque débarrassée de cette volonté - cette nécessité ? - d’être plus qu’un film de guerre, d’apporter un regard autre sur la bataille du Pacifique dont souffrait Mémoires de nos pères.
Pas de flash-back ou presque ici, mais un récit d’une grande simplicité : le combat de quelques milliers de Japonais sous-équipés, derniers "remparts" impuissants face à la progression des troupes américaines, pour défendre une île inutile devenue symbole de la fierté nationale. Pour illustrer son propos, Eastwood a choisi, comme dans son premier volet, une poignée de héros à part, qui justement refusent de se fondre dans la masse des soldats, de suivre ce que la "morale", quelle qu’elle soit, implique en temps de guerre. Côté américain, la désillusion et le refus de devenir des héros portaient ce propos. Côté japonais, c’est l’humanisme, la douceur, l’intelligence des personnages principaux qui frappent. Il y a bien là quelques soldats belliqueux, caricaturaux du "kamikaze" japonais, mais ils sont en seconde ligne.
Les héros de Lettres d’Iwo Jima, le général Kuribayashi (bouleversant Ken Watanabe), le soldat Saigo (remarquable Kazunari Ninomiya) et le baron Nishi (Tsuyoshi Ihara) ne sont pas des assassins mais bien plutôt, pour les deux gradés, des gentlemen, des intellectuels ayant vécu aux États-Unis, amis de l’ennemi en quelque sorte, et pour le soldat Saigo un enfant refusant de mourir pour une nation perdue. C’est en effet là un des plus grands enjeux qu’Eastwood a eu à affronter : traiter du patriotisme exacerbé des Japonais, de leur refus de la défaite. Il le fait avec une grande mesure, ne laissant la violence passer que durant une insoutenable scène de suicide collective, loin d’être vaine par ailleurs.
Prenant le temps de filmer l’amitié unissant les soldats, refusant les stéréotypes, Eastwood, entouré d’une équipe nippo-américaine, livre une œuvre touchante, qui ne fait pas insulte aux mœurs et aux valeurs du pays qu’il met en scène. Visuellement impeccable, fort heureusement intégralement en japonais et joué par des acteurs japonais, Lettres d’Iwo Jima, s’il reste un film populaire, car empreint de grands sentiments et d’effets romanesques, surpasse nettement Mémoires de nos pères. Deux films qui peuvent par ailleurs se prendre séparément l’un de l’autre, tant leurs enjeux sont lointains, reliés par ce seul bout de terre brûlé où vinrent mourir près de sept mille soldats américains et plus de vingt mille Japonais.
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alinea 26 février 2007
Lettres d’Iwo Jima - Clint Eastwood - critique
Une des plus grandes batailles du Pacific vue par les perdants. Une sorte de "vue de face" de La Mémoire de nos Pères... La scénariste est japonaise, ce qui apporte un regard sensible au film, la mise en scène frontale est sobre avec un choix de lumière qui laisse une grande place aux ombres... on dirait presqu’un film en noir et blanc ! Eastwood s’européanise, c’est indéniable et comment s’en plaindre ? On retrouve une certaine fascination pour la mort, mais c’est souvent l’apanage des gens vieillissant. J’ai trouvé le film assez larmoyant et un peu solennel où l’héroisme devient une pulsion morbide parfois grotesque. Le totalitarisme japonais avec ce sens du sacrifice inutile est omniprésent. C’est un huis clos sur une île mais on en vient à oublier les gagnants et les perdants pour ne voir que les personnages et, en ça, c’est une réussite.