La cause du peuple
Le 17 mai 2005
La mort annoncée d’une usine et la révolte de ses salariés. Une fresque passionnée et chaleureuse qui vous emporte comme un torrent.


- Auteur : Gérard Mordillat
- Editeur : Calmann-Lévy

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Elle s’appelle Dallas. Elle a vingt ans. Elle est frivole, lucide, endurante, amoureuse. C’est une des plus émouvantes figures de femmes que la littérature nous ait données ces dernières années. Il s’appelle Rudi. Il est fougueux, intelligent, intrépide, à vif. Ils s’aiment. Ils sont les personnages centraux d’une formidable fresque. Gravitant autour d’eux, toute la population d’une petite ville de l’est de la France dont la dernière usine va mourir d’une mort annoncée par une première vague de licenciements. Drame de la mondialisation, comme on peut en voir régulièrement à la télévision. Ballottés de promesses non tenues en annonces catastrophiques, les salariés se rebiffent, tentent des actions de la dernière chance, même s’ils savent que c’est couru d’avance et qu’au bout de la lutte, ce sera le chômage et la difficile (impossible ?) reconversion. Un scénario classique, effrayant, inéluctable, que Gérard Mordillat décline avec son cœur et ses tripes pour livrer un roman de toute beauté.
L’ancien typographe sait de quoi il parle. Le monde ouvrier est le sien, qui l’a amené en écriture voici vingt-quatre ans déjà avec Vive la sociale ! [1]. Il s’empare de ce fait divers socio-économique à bras le corps et nous envoie dans la figure un pavé de 650 pages grouillant de vie, d’amour, de désespoir. Écrit comme un scénario (on reconnaît là le Mordillat cinéaste - et quel film cela ferait, soit dit au passage !), en succession de courtes scènes largement dialoguées, Les vivants et les morts possède un souffle épique, une véhémence de tous les instants, qui vous transportent à travers les contradictions, les meurtrissures et les angoisses de ses protagonistes : ouvriers de la base, contremaîtres, cadres, syndicalistes, mais aussi le maire de la ville, le médecin, une journaliste, les représentants des pouvoirs publics, en tout une cinquantaine d’individualités dont les portraits sont brillamment brossés. Chez Mordillat, avant de mourir les hommes et les femmes vivent. Même dans la détresse et le déchirement, ils baisent beaucoup, s’engueulent presque autant, se marrent, se pintent la gueule. Et surtout, ils se révoltent contre cette liquidation qui équivaut pour eux à une condamnation à mort, ils vont jusqu’au bout, quel que soit le prix à payer, pour conserver leur dignité. C’est magnifique. C’est fort. C’est chaleureux. Ça vous emporte comme un torrent. Ça vous fait frémir de rage et d’horreur. Ça vous donne envie de hurler contre l’injustice, l’humiliation et l’hypocrisie. Ça vous chavire. Et ça vous réconcilie avec le genre humain. Ce qui n’est pas rien. Ce qui est tout. Oui, la classe ouvrière ira au paradis.
Gérard Mordillat, Les vivants et les morts, Calmann-Lévy, 2005, 656 pages, 20,95 €
[1] Ed. Maurice Nadaud, puis en poche chez Points Virgule, aujourd’hui épuisé, hélas