La cour des désirs
Le 9 décembre 2010
Documentaire sensible, en état de grâce, où un groupe d’adolescents se découvre un talent caché pour la danse, sous le regard de Pina Bausch : la chorégraphe ne pouvait sans doute pas rêver plus bel hommage. Une pépite à rattraper d’urgence.
- Réalisateurs : Anne Linsel - Rainer Hoffmann
- Acteur : Pina Bausch
- Genre : Documentaire, Musical
- Nationalité : Français, Allemand
- Date de sortie : 13 octobre 2010
- Plus d'informations : http://www.jour2fete.com/
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– Durée : 1h29mn
– Titre original : Tanzträume - Jugendliche tanzen KONTAKTHOF von Pina Bausch
Documentaire sensible, en état de grâce, où un groupe d’adolescents se découvre un talent caché pour la danse, sous le regard de Pina Bausch : la chorégraphe ne pouvait sans doute pas rêver plus bel hommage. Une pépite à rattraper d’urgence.
L’argument : En 2008, Pina Bausch, quelques mois avant sa mort, décide de reprendre son fameux spectacle Kontakthof, non plus avec sa troupe, mais avec des adolescents de 14 à 18 ans qui ne sont jamais montés sur scène et n’ont jamais dansé. Ce documentaire est leur histoire..
Notre avis : Le 30 juin 2009, la célèbre chorégraphe Pina Bausch s’est éteinte en laissant derrière elle une œuvre particulièrement controversée, commentée et estimée. Parmi elle : Kontakhtof, spectacle très personnel qui ausculte les rapports humains en société, tendresse, hypocrisie, agressivité, demande d’amour constante. Après avoir monté la pièce avec sa troupe habituelle dans les années 70, puis avec des seniors (plus de soixante ans !) en 2000, Pina Bausch s’essaye à une ultime variation de cette même chorégraphie, cette fois-ci avec des adolescents totalement débutants, pour ce qui sera l’une de ses dernières mises en scène. On aurait pu s’attendre à ce que les deux documentaristes, Anne Linsel et Rainer Hoffman, s’appesantissent sur un hommage posthume rendu à cette grande dame de la danse contemporaine. Or, première (bonne) surprise, Les rêves dansants suit moins l’itinéraire de l’artiste que celui, semé d’embuches et de petits miracles, des jeunes pousses de quatorze, quinze, seize ans qui lui servent d’écrin. Débarrassé de quelconques lourdeurs commémoratives, le docu est à hauteur d’homme - et même à hauteur d’ado, ce qui le rend encore plus sensible.
Qu’on connaisse l’œuvre de Pina Baush ou non, qu’on s’intéresse à la danse contemporaine ou qu’on s’en contrefiche, Les rêves dansants devient très vite passionnant, car il s’accroche à cette jeunesse et en fait un véritable moteur de réflexion et de réalisation. L’essentiel du film se concentre sur les répétitions des danseurs/euses, dirigées par deux proches de Pina Bausch (Joséphine-Ann Endicott et Bénédicte Billiet), préparant la grande première du spectacle. On peut effectivement parler ici de ’’captation’’, non pas au sens d’un ’’théâtre filmé’’ plat et ennuyeux, mais dans son sens le plus élogieux : la caméra d’Ann Linsel ’’capture’’ véritablement les réussites, les hésitations et la grâce fragile de ces divers coups d’essai, suivant les mouvements heurtés des danseurs avec une attention de tous les instants, reproduisant ce mélange de gaucherie et d’élégance qui les caractérise (mélange étant, est-il besoin de le préciser, d’une beauté absolue). Encore balbutiants et mal à l’aise, les jeunes débutants vont progressivement s’affirmer, surmontant leurs appréhensions et leurs difficultés pour former un ensemble harmonieux. La mise en scène, inspirée et subtile, épouse les corps et les chorégraphies avec une grande vérité.
Au-delà des germes d’une création théâtrale, ou de la formation de talents particuliers (ce qui, en soi, est déjà d’un grand intérêt), Les rêves dansants met en lumière un authentique portrait de génération. Celle de la jeunesse allemande d’aujourd’hui, enrichie par l’immigration, partagée entre diverses religions, diverses catégories sociales, diverses expériences de vie ; la ’’compagnie Kontakhtof’’, formée au-delà de ces différences, y prend même des airs d’utopie moderne où tout le monde trouve sa place, sur un même pied d’égalité et de respect. L’investissement des adolescents, soumis au regard mi-bienveillant, mi-sévère de leurs chorégraphes, s’apparente à une étape-clé de leur évolution personnelle, synthétisant leurs angoisses et leurs espoirs. Quelques témoignages en inserts, face caméra, achèveront de révéler leur intériorité... et nous de les apprivoiser pour de bon : cette adolescente gracile, bombardée vedette de la pièce, évoquant le souvenir de son père disparu ; ce jeune homme musulman qui avoue son profond respect de la gente féminine ; ces dragueurs à moitié gênés qui redécouvrent ce qu’est le toucher... Chacun pourra se reconnaître dans ce récit de formation, d’un humanisme profondément touchant, car qui n’a jamais éprouvé le trac d’une représentation publique, même dans le cadre tout simple de son école ou de son collège ? Les séquences de répétition restent celles qui ’’disent’’ le mieux les caractères et nous offrent, de surcroît, un aperçu de quelques morceaux de danse d’une qualité époustouflante. Les rêves dansants, ainsi suspendu à une sorte de faux suspense progressif (les danseurs seront-ils prêts à temps pour la première ?), passe à la vitesse de l’éclair.
C’est d’ailleurs l’un des seuls (minuscules) reproches qu’on pourrait faire au film, ces quatre-vingt dix petites minutes de bobine : c’est bien simple, on en aurait bien repris pour une demi-heure. Étrangement, les apparitions de Pina Bausch se font rares, et tirent justement une grande force de leur rareté : à ces répétitions qu’elle ne dirige pas, elle n’assiste qu’exceptionnellement, ce qui a le don d’impressionner les gamins à chaque fois qu’elle pointe le bout de son nez. Mais si la chorégraphe est absente de l’écran, du moins en début de métrage (elle se montre plus à mesure que la ’’première’’ approche), sa présence se fait constamment sentir : à travers les scènes de Kontakhtof (qui renvoient à des obsessions et à des anecdotes très personnelles), à travers cette jeunesse à qui elle transmet son aura (les adolescents lui rappellent ses propres premiers pas sur les planches), à travers ses deux collaboratrices qui se donnent entièrement à ce projet, c’est bel et bien un portrait de l’artiste qui se dessine ici, en creux.
Émaciée, marquée par la fatigue mais conservant sa rigueur et son espièglerie, Pina Bausch hante chaque image, jusqu’à celles où elle n’apparaît pas. Son talent s’imprime et s’exprime dans la foule d’entrechats qui clôturent le film, ceux de la représentation finale - son apothéose naturelle. Lorsque l’artiste monte sur les planches pour saluer son public, puis ses élèves (qui lui ont apportés autant qu’elle leur a apportée), l’émotion qui nous étreint est d’une intensité surprenante. L’hommage dépouillé qui lui est alors rendu, tandis qu’elle quitte discrètement les projecteurs pour se rendre une dernière fois dans sa loge, est tout simplement bouleversant. Instants poignants, fugaces et précieux qui font la richesse des Rêves dansants, l’un des plus beaux films de l’année.
La bande-annonce : ICI
Frédéric de Vençay
Notes : Pina Bausch est une des chorégraphes les plus renommées des quarante dernières années. Café Müller (1978), Walzer (1982) et bien d’autres de ses créations ont fait le tour du monde et captivé un public dépassant de loin le cercle des amateurs de danse contemporaine. Le documentaire de Anne Linsel et Rainer Hoffmann nous la montre, peu avant sa mort (le 30 juin 2009), supervisant la reprise d’un de ses plus fameux spectacles Kontakthof.
Le film accompagne les quarante adolescents venus de onze établissements scolaires de Wuppertal qui, sous la direction de Jo-Ann Endicott et Bénédicte Billiet, se découvrent eux-mêmes en répétant, les samedis, cette pièce où il n’est question que des mille manières dont les êtres humains cherchent à se rapprocher les uns des autres et des peurs, désirs, doutes, provoqués par ces contacts.
Ce documentaire, produit par la Tag/Traum Filmproduktion GmbH de Cologne en collaboration avec le WDR et Arte, est distribué par Jour2fête. Il a soulevé l’enthousiasme au cours des nombreuses avant-premières organisées depuis plusieurs mois et sort en salles le 13 octobre 2010 .
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