Qu’arrive-t-il lorsque l’amour, ou plutôt l’être aimé vous abandonne ? C’est ce que vit Olga, après quinze de mariage. Sans crier gare, du jour au lendemain, l’homme à qui elle a sacrifié son goût pour l’écriture, qu’elle a suivi aux quatre coins de l’Italie pour atterrir à Turin et élever leurs deux enfants, Mario, la quitte pour une "jeunette". Un événement tristement ordinaire, et dans la vie et dans la littérature : difficile a priori donc d’en renouveler l’écriture et la trame narrative. Le seul moyen d’y parvenir était de privilégier la justesse, une justesse déchirante, forcément douloureuse... C’est celui qu’a choisi Elena Ferrante. Dès les premières pages, la plongée dans l’univers mental d’Olga est violente, à l’image de la brutalité de cette rupture.

À sa manière, l’auteure est parvenue à donner une interprétation au célèbre vers de Lamartine, "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé". Mais alors que chez le poète, c’était la mort qui avait mis un terme à l’histoire d’amour, c’est ici l’abandon qui ravage Olga. Et c’est peut-être pire, car c’est humiliant. Cette femme a l’impression qu’elle n’existe plus, elle disparaît, se désintègre en même temps que son couple. Dès lors, comment continuer à assurer le quotidien, s’occuper des enfants... La descente aux enfers commence et la folie rôde autour d’Olga. La musicalité du verbe de Ferrante se prête magnifiquement à cette traversée du chagrin : les mots sont parfois tapis pendant que la colère d’Olga gronde. C’est le silence avant la déflagration... La rage d’Olga est singulièrement familière, et nous saisit aux tripes : son cri de hargne résonne encore une fois le livre achevé.