Le 15 avril 2023
D’une beauté aussi évanescente que le temps qui passe, ce premier roman est une ode gracile à l’enfance et à ses jeux, aux maisons qui nous ont vus grandir puis vieillir, pleins d’amertume.


- Auteur : Perrine Tripier
- Collection : Blanche
- Editeur : Gallimard
- Genre : Roman
- Nationalité : Française
- Date de sortie : 12 janvier 2023
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur

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Résumé : Hantée par un âge d’or familial, une femme décide de passer toute son existence dans la grande maison de son enfance, autrefois si pleine de joie. Pourtant, il faudra bien, un jour ou l’autre, affronter le monde extérieur. Avant de choisir définitivement l’apaisement, elle nous entraîne dans le dédale de sa mémoire en classant, comme une aquarelliste, ses souvenirs par saison. Que reste-t-il des printemps, des étés, des automnes et des hivers d’une vie ?
Critique : Les guerres précieuses est un premier roman à la fois tendre et amer empreint d’une nostalgie poisseuse qui serre la gorge. S’en dégage peu à peu l’odeur entêtante d’un bouquet en déliquescence, vanité métaphorique. Isadora songe à sa jeunesse enfuie trop tôt, trop vite, sourit avant que ses mains noueuses lui rappellent son âge, que le parc derrière la fenêtre se substitue à ses fantasmes éveillés. Elle n’habite plus la Maison, celle de tous ses jeux, de ses rêves et de ses peurs, peut-être en Allemagne, en France ou ailleurs. Pourtant, elle quitte par l’esprit la chambre triste de la maison de retraite où elle vit désormais pour visiter ses souvenirs dignes de contes, réfugiés dans un cabinet de curiosités poussiéreux doré par le soleil chaud des remembrances. La lumière de chaque saison la traverse, les odeurs d’herbe sèche et de fleurs bientôt fanées, le bruit des feuilles qui craquent sous les galops enfantins, la blancheur aveuglante de la neige bientôt souillée, le velouté des pétales fragiles et des corolles provocantes. Elle revoit ses cousins, ses frère et sœurs cavaler dans les bois, échapper aux adultes pleins d’une langueur estivale ou réfugiés devant un feu, se souvient de la bâtisse pleine de cris et bientôt vide, balayée par un vent lugubre qui pousse les aiguilles de l’horloge.
Perrine Tripier, à travers sa narratrice, évoque des détails qui éclairent les scènes, en font des tableaux vivants, vieux film au grain passé, poétique et d’une date inconnue, qui se dévide d’une cassette cassée. Elle semble réinventer le langage sans user de termes compliqués, mais davantage de mots graciles, de métaphores soignées, de comparaisons évocatrices et poétiques. Au sein de chaque saison, les années passent avant de revenir en arrière, manière de faire triompher l’enfance et de la prolonger, de la faire revivre un peu pour oublier qu’elle a disparu, effacer l’amertume qui l’a remplacée bien vite, la jalousie qui a rongé le cœur d’Isadora. Elle n’a jamais quitté la Maison, Peter Pan abandonné par ceux qui égayaient les murs et les cabanes dans les arbres, petite fille devenue vieille fille, incapable de surmonter son désir dévorant de l’hier et des jours heureux, sa faim pour un moment disparu à jamais.
Perrine Tripier - Les guerres précieuses
Gallimard
192 pages
18 euros