Le film est une arme
Le 6 décembre 2013
Le coffret DVD "Les groupes Medvedkine" réunit les grandes heures du collectif (1967-1974). Ces documentaires sur la lutte ouvrière bousculent les consciences et les éveillent sur leur propre condition salariale. Aujourd’hui, où gronde un nouveau conflit, le combat n’a jamais été autant d’actualité.
- Réalisateur : Chris Marker
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français
- Editeur vidéo : Éditions Montparnasse
- Durée : 5h34mn
- Titre original : Les groupes Medvedkine
- Plus d'informations : Site officiel de l’ISKRA
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– Année de production : 1967-1973
– Date de sortie du DVD 8 mars 2006
Le coffret DVD, "Les groupes Medvedkine", réunit les grandes heures du collectif (1967-1974). Ces documentaires sur la lutte ouvrière bousculent les consciences et les éveillent sur leur propre condition salariale. Aujourd’hui, où gronde un nouveau conflit, le combat n’a jamais été autant d’actualité.
L’argument : 1967, la grande grève de la Rhodiaceta à Besançon annonce déjà mai 68. Entre occupation d’usines et revendications spectaculaires pour l’époque, un groupe de cinéastes, dont Chris Marker en tête de file, filme des militants ouvriers.
Mais ces derniers ne se reconnaissent pas à travers ce film et ne se privent pas de le dire. Chris Marker, et un certain nombre de cinéastes militants, décident de donner à ces ouvriers les moyens de prendre eux-mêmes la parole.
Chris Marker, Jean-Luc Godard et Bruno Muel et quelques autres, vont ainsi mettre du matériel à la disposition des ouvriers et les former aux techniques cinématographiques. Résultat : des films forts, des pamphlets parfois violents, souvent brillants et émouvants, réalisés entre 1967 et 1973 sous l’égide de l’infatigable et génial Pol Cèbe (ouvrier et bibliothécaire du CE).
Notre avis :A l’heure de la fronde des “Bonnets rouges” où notre pays traverse une crise financière et sociétale, on retrouve les prémices de cette colère dès 1967 et c’est à travers un coffret de 2 DVD Les groupes Medvedkine paru il y a quelques années sous les éditions Montparnasse, mais qui, aujourd’hui, revient en lumière grâce à l’exposition Planète Marker au centre Pompidou consacrée à Chris Marker et ce jusqu’au 22 décembre 2013, que l’on peut se rendre compte que cette révolte de 68 n’a pas été seulement estudiantine mais surtout et principalement ouvrière. Car oui, il faut bien se le dire, Paris n’est pas la France, et au-delà de ces étudiants non-contents de leur situation, la plupart de la société française de l’époque ne franchit pas le cap de l’après certificat d’étude et dès 14 ans se voient dans l’obligation de travailler. Ce double DVD ne rassemble pas un mais plusieurs films, qui nous entraine de 1967 à 1974, au cœur des usines où la lutte sociale et salariale s’est engagée.
Ce DVD commence avec A bientôt j’espère de Chris Marker et Mario Marret tourné en mars 1967 à Besançon dans les usines textiles Rhodiaceta, filiale du géant industriel Rhône-Poulenc. Ils y filment la naissance du conflit salarial à la recherche d’un nouvel avenir. Un homme y relate de son quotidien et de celui de son épouse, où leur vie, calquée sur leurs horaires imposées, n’est faite que de croisement. Le témoignage est d’autant plus étonnant pour l’époque et la classe sociale, car il n’est plus seulement question d’une reconnaissance monétaire, mais également une volonté d’amélioration de la qualité de vie à l’extérieur de l’usine : des loisirs, mais aussi rendre accessible à tous, la culture. Une fois le film achevé, les deux cinéastes reviennent à Besançon afin d’en projeter le résultat. Mais la réaction des salariés est pour le moins inattendue, car ils ne s’identifient pas aux protagonistes, ni au montage des évènements. C’est ce débat, sans illustration, que l’on entend dans La charnière.
Pourtant l’image d’A bientôt j’espère est bienveillante, et c’est avec le regard actuel porté, que cette réalité décriée ne semble pas si éloignée de leur réel. Mais peut-être est-ce la manière de scénariser le documentaire, le point de vue des auteurs, ou bien encore, comme on le leur fit le reproche, une vision parisianisme qui les ont perturbé et dérouté ? En réponse à cela, Marker avec la complicité de quelques cinéastes leur offrent l’opportunité de s’exprimer par eux-mêmes, via l’outil cinématographique. Dès lors, les ouvriers sont formés à la technique, allant jusqu’à leur confier des caméras afin de saisir l’essence même de leur vie salariale.
« Le film est une arme », voilà l’esprit de ces ouvriers qui prennent la caméra afin de dénoncer les conditions de travail. Un collectif d’ouvrier qui prirent le nom « groupes Medvedkine » en hommage au cinéaste Alexandre Medvedkine, « un homme qui mettait le cinéma entre les mains du peuple ». Ainsi, dans le premier DVD, l’objectif se pose dans les usines de Besançon, et y capte l’avènement du féminisme via le portrait de l’épouse d’un des salariés d’« A bientôt j’espère ». Une femme, Suzanne, qui avait semblé effacé, discrète, mais qui se révèle au fur et à mesure dans la « Classe de lutte », une syndicaliste engagée. Une image d’autant plus frappante qu’à cette époque, les femmes qui travaillaient, étaient rares, la plupart, une fois mère, se consacrant à l’éducation de leurs enfants. D’autres films militants voient ainsi le jour, comme ces trois courts-métrages « Nouvelle société 5,6 et 7 » qui nous parlent de ce monde industriel, des cadences, des accidents et de cet impact sur la vie familiale. A la fin de chaque film, on peut y lire cette phrase : « La lutte des classes existe à l’échelle mondiale. Partout la classe dirigeante s’invente de nouveaux masques. Pour survivre en France, le dernier en date s’appelle Nouvelle Société. Nous n’y croyons pas. Nous n’en voulons pas. La Société Nouvelle, nous le bâtirons sans eux, contre eux, avec vous. » Comment le public, lorsqu’il visionne ces films, ne peut-il pas se sentir impliqué quand il est interpellé avec autant de conviction ?
Le second DVD nous emmène à Sochaux, où l’on peut noter un léger bémol. Certains membres du groupe Medvedkine se sont hasardés à jouer et raconter ce qui se passe dans les usines dans « Les trois-quarts de la vie » et « Week-end à Sochaux » et bien que l’on sente dans ces « fictions » leur engagement et leur volonté de révéler leur réalité, le spectateur ne réussi pas à être aussi touché que par les témoins des autres documentaires qui se sont mis à nus pour nous dévoiler leur vérité. Toutefois, l’émotion est très présente dans cette deuxième partie où un collectif de cinéastes et de travailleurs, nous relatent dans « Sochaux, 11 juin 1968 », les évènements violents qui se sont déroulés dans les usines Peugeot. Où face à une grève de 22 jours, les CRS, complice du patronat, la répriment dans le sang faisant deux morts et 150 blessés. Tout comme « Avec le sang des autres » de Bruno Muel, ces films soulignent le combat d’une main d’œuvre exploitée par Peugeot. Une entreprise qui s’est construite, autour d’elle, son propre univers allant jusqu’à prendre le contrôle même de la ville de Sochaux : les magasins, les loisirs, les transports et le logement qui aux premiers abords peuvent paraître bénéfiques pour l’ouvrier, mais qui se révèlent très vite une prison dorée. Le spectateur ne reste pas insensible face à une telle situation, et l’envie lui prend, en regardant ce DVD, d’aller manifester auprès de ceux qui se révoltent aujourd’hui. Plus qu’un documentaire, ce coffret réveille les consciences en nous rappelant le souvenir de ces gens, ces militants, qui un jour se sont battus pour un idéal, des convictions dont nous bénéficions pour certains aujourd’hui, des acquis à ne pas laisser filer sous prétexte de mondialisation.
Ce coffret est également accompagné d’un livre explicatif et engagé de 59 pages établi par l’équipe ISKRA, la société de production fondée par Chris Marker, qui a accompagné le collectif « Groupes Medvedkine » dans leurs réalisations. Un beau coffret à découvrir d’urgence qui redonne sens à cette notion de militantisme.
DVD 1 - Besançon (152 min)
– À bientôt, j’espère (Chris Marker et Mario Marret, 1967-1968)
– La Charnière (son seul, 1968)
– Classe de lutte (1968)
– Rhodia 4/8 (1969)
– Nouvelle société 5, « Kelton » (1969)
– Nouvelle société 6, « Biscuiterie Buhler » (1969)
– Nouvelle société 7, « Augé découpage » (1970)
– Lettre à mon ami Pol Cèbe (Michel Desrois, 1971)
– Le Traîneau-échelle (Jean-Pierre Thiébaud, 1971)
DVD 2 - Sochaux (182 min)
– Sochaux, 11 juin 1968 (1970)
– Les Trois-quarts de la vie (1971)
– Week-end à Sochaux (1971-1972)
– Avec le sang des autres (Bruno Muel, 1974)
– Septembre chilien (Bruno Muel et Théo Robichet, 1973)
Réalisation : Chris Marker, Mario Marret, Michel Desrois, Bruno Muel, Jean-Pierre Thiébaud, Théo Robichet
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