Littérature francophone
Le 24 septembre 2002
Le récit brutal d’une enfance meurtrie.
- Auteur : Jean-Michel Rabeux
- Editeur : Éditions du Rouergue
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Française
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Jean-Michel Rabeux, metteur en scène et homme de théâtre, nous livre avec son premier roman, Les charmilles et les morts, le récit brutal de son enfance meurtrie où la mort a laissé des traces que l’auteur tente d’analyser, sincèrement, sans complaisance.
A quel âge avons-nous pris conscience de la finitude des êtres qui nous sont chers, de celle d’inconnus et de la nôtre propre ? Pas cette vague perception de la mort causée par la disparition d’un grand-oncle que de toute façon on ne voyait que rarement ; non, une vraie prise de conscience qui fait souffrir, qui saute à la gorge, quand le manque d’une personne aimée étreint et étouffe, quand le non-retour n’est plus seulement de l’ordre des idées mais bel et bien de l’ordre du tangible.
Cette prise de conscience, Jean-Michel Rabeux la situe pendant son enfance, au moment où il est confronté brutalement à la mort par "l’éclatement du corps de [sa] mère contre un camion" en même temps qu’il cohabite quotidiennement avec des corps mi-vivants, mi-morts aux Charmilles, centre de rééducation d’infirmes dirigé par son père.
Guidé justement par ce père si doux à aimer les amputés comme des êtres entiers, l’enfant se met à associer systématiquement, avec une sorte de fascination, la vision d’un corps et celle de sa mort qui palpite sous la peau, association qui le poursuit à l’âge adulte et qui lui fait avouer : "Je n’aime pas la mort, mais chacun de ses signes sur le corps même le plus resplendissant me crève d’amour pour sa précarité."
Les charmilles et les morts est le récit en trois volets d’une enfance meurtrie, de la solitude qui se construit autour de ces douleurs et de l’enfermement qui en résulte, quel que soit le lieu où l’enfant se trouve : aux Charmilles, formidable terrain de jeux avec son grand parc, sa piscine, les couloirs des bâtiments, mais "ceint d’un mur solide et comprimé de partout par les trafics de la banlieue", au pensionnat du collège mariste de Saint Laurent de Lagny ou bien en mer, où son père l’emmène pour son plus grand bonheur, celui de frôler la mort de plus près, la peur au ventre : "La mer, là, en moi, aussi vide qu’elle sait l’être, glacée, comment ne pas y voir la mort à l’œuvre ?"
Et comment ne pas craindre aussi, dans cette autobiographie brève mais ambitieuse, la fâcheuse tendance de ce genre littéraire qui invite à confondre les pensées de l’enfant et la rationalité a posteriori qu’en extrait l’adulte : que penser ainsi de cette scène supposée fondatrice où l’auteur-enfant découpe un gigot non avec un couteau de cuisine mais avec un scalpel, et qu’il conclut ainsi : "J’ai cessé enfant d’aimer Dieu, donc d’y croire, pour aimer cette matière anatomique contradictoire qui étant n’est déjà plus." Pourtant, Les charmilles et les morts échappe intelligemment à ce travers, par un effort de réelle sincérité que Jean-Michel Rabeux déploie, décortiquant tout, les corps qui saignent mais aussi les mots qui trahissent et travestissent la réalité : "Je ne parviens pas à repousser l’impression que tout ce que j’écris au sujet de cette partie mutilée de mon enfance est faux, tout au moins décoré". Décorations qui font toute la subtilité de cette mise à nu, à la fois crue et pudique, du goût prématuré et décalé d’un enfant pour la mort.
Jean-Michel Rabeux, Les charmilles et les morts, Editions du Rouergue, coll. "La Brune", 2002, 93 pages, 8 €
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