Les désarrois d’Hannah Buchan
Le 29 novembre 2005
Une femme piégée par une erreur de jeunesse, prétexte à un portrait sans concession de l’Amérique. Caustique et brillant.
- Auteur : Douglas Kennedy
- Editeur : Belfond
- Genre : Polar, Roman & fiction
L’épatant titre original, intraduisible, donne en quatre mots la teneur du dernier roman de Douglas Kennedy. State of the Union, c’est à la fois l’état d’une union conjugale et celui des USA, en référence au discours prononcé chaque mois de janvier par le président américain. Après avoir tâté de la satire de la vie britannique dans Une relation dangereuse [1], Douglas Kennedy revient au pays qu’à défaut d’aimer le mieux, il châtie le mieux. En fin connaisseur, même si, natif de New York, il a choisi de vivre entre Londres et Paris.
Le romancier n’est jamais aussi bon que quand il prend pour toile de fond une période de l’histoire récente des Etats-Unis. Pour y engluer ses personnages dans des histoires dont ils perdent la maîtrise, rattrapés par des événements qu’on pourrait croire sans conséquence. Dans La poursuite du bonheur [2], c’était la Seconde Guerre mondiale et le maccarthysme. Aujourd’hui il nous plonge la tête la première dans les luttes des années soixante (pour la libération sexuelle, pour les droits civiques, contre la guerre du Vietnam, etc.), pour nous faire émerger, quarante ans plus tard, dans l’Amérique actuelle. Le fil conducteur : Hannah Buchan, père brillant professeur aux idées progressistes, mère artiste. Peu ambitieuse, tôt mariée à un étudiant en médecine, elle se retrouve piégée avec mari et enfant dans une petite ville du Maine, archétype de la bourgade provinciale où l’on ne peut lever le petit doigt sans que toute la population soit au courant. Elle fait le gros dos mais le bovarysme guette. Comme on peut s’y attendre, arrive un jour un "prince" aussi charmant que manipulateur. Non seulement Hannah met un coup de canif dans le contrat conjugal, mais en sus elle transgresse gravement la loi. Son secret, bien gardé pendant des décennies, finira par la rattraper.
Avec son sens du récit, Kennedy nous tient en haleine sur plus de cinq cents pages. Sa causticité fait merveille dans ses descriptions de la vie à deux. Il revient sur des thème qui lui sont chers : recherche du bonheur et responsabilité individuelle. Mais, surtout, il nous livre un très beau portrait de femme, riche de ses contradictions, que l’on voit évoluer au fil des ans, mûrir, finalement faire un vrai choix de vie. Les personnages qui tournent autour d’Hannah sont eux aussi très subtilement brossés, jamais tout d’une pièce. Mention spéciale au remuant papa, aussi touchant que drôle et lucide. Ainsi qu’à l’amant de trois jours au radical retournement de veste : un triste sire représentant, à lui tout seul, l’évolution d’un pays qui, sous couvert de religion, se dirige vers une sorte d’obscurantisme à vous glacer le dos [3]. Amis, qu’avez-vous fait du Flower Power ?
Douglas Kennedy, Les charmes discrets de la vie conjugale (State of the Union, traduit de l’américain par Bernard Cohen), Belfond, 2005, 528 pages, 21 €
[1] Belfond, 2003, disponible en Pocket
[2] Belfond, 2001, disponible en Pocket
[3] Lire à ce propos le formidable document de Douglas Kennedy sur l’emprise de la religion dans le Sud des États-Unis, Au pays de Dieu, Belfond, 2004
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poildesouris 29 novembre 2005
Les charmes discrets de la vie conjugale - Douglas Kennedy
Les charmes discrets de la vie conjugale est un roman inégal dont le titre en anglais State of the Union me semble mieux choisi en ce qu’il fait référence à la fois au mariage et aux Etats-Unis.
La première partie n’a rien d’exceptionnel. Dans l’agitation des années 60-70, Hannah Buchan, fille d’un universitaire contestataire, mène une vie rangée d’étudiante, puis d’épouse de médecin et de mère de famille. Son histoire est assez plate, malgré la brève incartade de la jeune femme, et même la manière de la raconter reste contenue. Mais c’est seulement pour poser le décor et pour mieux mettre en valeur l’emballante deuxième partie.
30 ans plus tard. Hannah Buchan est une quinquagénaire établie, enseignante, libérale, jouissant d’une douce aisance auprès de son mari après le départ des enfants. Soudain Douglas KENNEDY la précipite dans une série d’épreuves bouleversant sa vie privée et publique. En fait, la crise d’Hannah la modérée est la critique des excès de l’Amérique ultra-conservatrice de Georges W. Bush, son conformisme, ses peurs, ses outrances médiatiques, son hypocrisie et ses mensonges.
Ce roman nous fait vivre de l’intérieur les débats idéologiques et moraux de l’Amérique contemporaine. Cette oeuvre d’un Américain francophile est déjà un best-seller en France.