Le génie qui a bouleversé l’histoire du cinéma.
La légende qui l’auréole est toute mozartienne : à l’âge de deux ans il aurait parlé comme un adulte, à cinq, il aurait monté sa première pièce de Shakespeare en y interprétant les deux rôles principaux... Fiction ou réalité ? Peu importe, Orson Welles (1915-1985) était sans nul doute un prodige et, comme tous les surdoués, bien peu fait pour entrer dans le moule. Mais avec une chance que n’ont pas certains autres QI énormes : une atmosphère familiale ouverte et compréhensive. Père hôtelier mais aussi inventeur, mère pianiste de renom, tous deux tôt disparus.
Un ami de sa mère, le docteur Bernstein, devient son tuteur et l’autorise à mener de jeunes années bien peu conventionnelles : il voyage en Europe, s’initie à la magie avec Houdini, se fait engager par le Gate Theatre de Dublin à l’âge de seize ans, retourne aux USA, commence à mettre en scène dans son ancienne école, y remporte un vif succès, crée sa propre compagnie, le Mercury Theatre, monte de nombreuses pièces modernes et classiques, est engagé avec sa troupe par CBS pour une émission hebdomadaire radiophonique dont l’énorme notoriété culminera le 30 octobre 1938, date à laquelle est diffusée une Guerre des mondes (d’après son presque homonyme H. G. Wells) si réaliste qu’elle fait souffler un vent de panique : les auditeurs américains croient que les Martiens ont envahi la planète ! Welles a vingt-cinq ans, c’est alors que RKO prend contact avec lui et lui laisse carte blanche pour son premier film, Citizen Kane, énorme succès critique mais le public ne suit pas. Jamais plus Welles n’aura la maîtrise totale de ses films à Hollywood, ils seront mutilés, remontés, leurs fins modifiées... et malgré cela ce seront des films de Welles à cent pour-cent. Pour paraphraser François Truffaut, Welles fait partie de ces rares réalisateurs dont on reconnaît le style au bout de trois minutes de visionnage...
Après avoir tourné deux autres chefs-d’œuvre, La splendeur des Amberson et La dame de Shanghai avec Rita Hayworth, alors sa femme, et n’obtenant pas le succès aux Etats-Unis, Welles décide de plier bagages et se rend en Europe où il espère trouver plus de liberté en coproduisant ses films avec ses cachets d’acteurs.
Génial acteur que Welles dans ses propres films ou dans Le troisième homme, par exemple, mais qui n’hésite pas à cabotiner dans n’importe quel navet, pour disposer du nerf de la guerre... Sa carrière européenne commence par Mr Arkadin (1955), sur une thématique proche de celle de Kane. Suit une dernière tentative hollywoodienne, à l’instigation de Charlton Heston, qui était encore un garçon fréquentable à l’époque, et c’est un nouveau chef-d’œuvre : La soif du mal. Hélas, l’incompréhension est si totale que jamais plus Welles ne tournera dans son pays.
Quatre ans plus tard, avec sa distribution internationale (Anthony Perkins dans le rôle de Joseph K., Romy Schneider, Jeanne Moreau, Elsa Martinelli), Le procès, tentative pourtant très aboutie de recréation de l’univers kafkaïen, peine à remporter l’adhésion du public, tout comme le sommet baroque que représente son truculent Falstaff (1966). Après Une histoire immortelle, commande de la télévision française, il y aura ce curieux F for Fake, une histoire bien wellesienne de faussaire mais qu’on dit mise en scène par François Reichenbach. Avec Filming Othello, Welles reviendra de manière nostalgique sur ses jeunes années créatrices. Il mourra six ans plus tard, sans avoir réussi à monter son Roi Lear, retour à Shakespeare qui l’aura nourri sa vie entière : il n’est que de voir combien ses thèmes sont similaires à ceux du grand dramaturge anglais. Fasciné par l’ambiguïté de l’âme humaine (par sa propre ambiguïté), sachant comme nul autre la retranscrire avec les outils du cinéma, le génie Welles aura marqué d’un jalon éclatant le septième art. Artiste "maudit", toujours trop en avance sur son temps, il n’aura cessé, depuis Citizen Kane, d’offrir à l’art cinématographique des œuvres qui à jamais ont bouleversé son histoire.
Filmographie
– Hearts of age (1934, non commercial)
– Citizen Kane (1941)
– The magnificent Ambersons (La splendeur des Amberson, 1942)
– It’s all true (inachevé, 1942)
– The stranger (Le criminel, 1946)
– Macbeth, (1948)
– Lady of Shanghai (La dame de Shanghai, 1948)
– Othello (1952)
– Mr Arkadin/Confidential Report (Monsieur Arkadin/Dossier secret, 1955)
– Touch of evil (La soif du mal, 1958)
– Don Quixote (inachevé, 1959) (Les bobines ont été retrouvées par Jesus Franco, assistant de Welles, qui a terminé le film. Il est sorti sous leur double signature en 1992)
– Le procès (The trial, 1963)
– Chimes at midnight (Falstaff, 1966)
– The immortal story (Histoire immortelle, 1967)
– F for fake (Vérités et mensonges, 1974)
– Filming Othello (1979)