In God we trust
Le 17 novembre 2004
Étonnant et éprouvant voyage dans le Sud profond des USA. Entre marketing et Vérité révélée, plongée au cœur d’un phénomène de société qui fait froid dans le dos.
- Auteur : Douglas Kennedy
- Editeur : Belfond
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Américaine
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Avant d’être le romancier que l’on sait, fin connaisseur de l’âme humaine et grand agenceur d’histoires aussi ambiguës que pleines d’humour [1], Douglas Kennedy a fourbi ses armes dans le récit de voyage. Belfond, son éditeur français, a la bonne idée de nous proposer - au moment de la réélection de qui l’on sait outre-Atlantique - le périple qu’il fit au cours de l’été 1988 dans ce qu’il est coutume d’appeler la Bible Belt [2], soit les États du Sud des USA. Douglas Kennedy a alors trente-trois ans, l’âge du Christ, ça tombe bien puisqu’il part à la rencontre de l’étonnant phénomène qui se développe dans ces régions, celui du néochristianisme, qui n’a fait depuis que s’étendre géographiquement et se radicaliser vers un fondamentalisme toujours plus pur et dur.
C’est peu dire que le Sud d’Autant en emporte le vent est profond. Abyssal, surtout pour un esprit européen, et Douglas Kennedy l’est dans un sens, né à New York mais vivant à Londres. Aussi, c’est avec la même stupeur que lui que nous allons à la rencontre de ces nouveaux fous de Dieu. Stupeur amusée ou stupeur effrayée, selon les cas. Et même s’il tente de garder la distance et un semblant de neutralité, s’il se défend de vouloir écrire un pamphlet, il ne peut empêcher sa plume de déraper vers l’humour et la causticité. Il y a de quoi. La brochette de personnages qu’il dépeint, luthériens, unitariens, évangélistes, baptistes, pentecôtistes, méthodistes, témoins de Jehova, etc., et leurs innombrables variétés plus ou moins rigoristes, ont l’air, pour un esprit cartésien, tout droit sortis d’un asile de fous ou d’une entreprise tentaculaire de lavage de cerveau. Non qu’ils soient antipathiques, bien au contraire, ils sont accueillants, chaleureux, mais d’un prosélytisme à faire peur, usant d’arguments souvent dignes du pari de Pascal.
Au pays du business roi, le marketing religieux fait florès et même si chaque pasteur rencontré par Kennedy se défend d’avoir une main sur le crucifix et l’autre sur le porte-monnaie, force est de constater qu’une Église ne peut subsister sans argent (sans beaucoup d’argent). Il faut donc trouver sa niche (Blancs, Noirs, riches, pauvres, même si on prône les vertus chrétiennes on ne se mélange pas) et mettre en marche la pompe à phynances par les moyens susceptibles d’atteindre le cœur de cible : émissions de radio et de télévision (de vrais shows, les descriptions vous laissent pantois) ; prédicateurs vedettes au charisme foudroyant ; slogans et autocollants proclamant " Avec Dieu, soyez gagnants !", "Boycottez l’Enfer !" ou, mieux encore, "Klaxonne si tu aimes Jésus" ; groupes musicaux (une bonne partie de l’activité de Nashville est dédiée à la musique "chrétienne") dont on ne s’étonnera même plus, après deux cents pages de lecture, que le heavy metal soit de la partie, mais attention, pour le son seulement, pour les paroles, c’est autre chose, elles sont estampillées conformes aux canons évangéliques...
De rencontre en rencontre se dessine le pire, tous ces gens qui se sont "réinventés", qui sont "re-nés" (c’est le maître-mot de l’affaire), affables et courtois et sympathiques pour la plupart, ont la certitude d’avoir raison, de détenir la Vérité. Aucune place au doute, nulle part. C’est le vrai cauchemar qui vous fait froid dans le dos, adouci il est vrai par quelques personnages réellement sincères et quelques éclopés de la vie qui ont trouvé dans la foi manière à se reconstruire. Absurde Amérique ? Kennedy le mécréant ne porte pas de jugement, il reporte ce qu’il voit et entend avec beaucoup de modération, mais au terme de son voyage, on le sent, entre les lignes, soulagé de reprendre l’avion pour "regagner un monde plus ancien". Dans lequel, malgré ses multiples défauts, nous sommes bien aise de vivre, nous aussi.
Douglas Kennedy, Au pays de Dieu, (In God’s country, travels in the Bible Belt, traduit de l’anglais (américain) par Bernard Cohen), Belfond, 2004, 333 pages, 19,80 €
[1] À ce jour, cinq romans publiés chez Belfond, L’homme qui voulait vivre sa vie, Les désarrois de Ned Allen, La poursuite du bonheur, Rien ne va plus, Une relation dangereuse et un polar, Cul-de-sac, dans la Série noire
[2] La Ceinture de la Bible
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