Le 10 mars 2024
Sobre, élégant, et d’une rare théâtralité, Les Carnets de Siegfried pénètre admirablement dans la psychologie complexe d’un poète, Siegfried Sassoon, écartelé entre le conformisme dû à sa classe, son désir d’émancipation sexuelle et son combat pour les lettres. Terence Davies est au sommet de son talent.
- Réalisateur : Terence Davies
- Acteurs : Julian Sands, Peter Capaldi , Gemma Jones, Geraldine James, Jeremy Irvine, Simon Russell Beale, Jack Lowden, Anton Lesser, Thom Ashley, Calam Lynch
- Genre : Drame, Biopic, Historique, LGBTQIA+
- Nationalité : Britannique
- Distributeur : Condor Distribution
- Durée : 2h18mn
- Titre original : Benediction
- Date de sortie : 6 mars 2024
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Résumé : En 1914, le jeune Siegfried Sassoon, poète en devenir, est enrôlé dans l’armée britannique. De retour du front, révolté par ce qu’il a vu, il devient objecteur de conscience. Ses pamphlets pacifistes lui valent une mise au ban par sa hiérarchie, mais aussi une forme de reconnaissance artistique, lui ouvrant les portes d’une nouvelle vie mondaine. Mais dans cette société du paraître, Siegfried se perd, tiraillé entre les diktats de la conformité et ses désirs de liberté.
Critique : Parce qu’il se révolte contre la boucherie humaine qui s’abat sur l’Europe en 1914, le poète Siegfried Sassoon est précipité dans une clinique psychiatrique luxueuse, lui évitant certes la cour martiale et la condamnation, mais lui offrant la possibilité de s’engager plus en avant dans sa carrière d’écrivain. Les carnets de Siegfried n’est pas un biopic de plus sur un écrivain important du début du vingtième siècle. C’est le drame d’un homme, certes poète, dont la condition bourgeoise lui permet d’assumer son attirance pour les garçons. Il fréquente des amants frivoles, désinvoltes, célèbres pour certains, tous très aisés, se préservant des condamnations qui pleuvaient à l’époque, à commencer celle du grand Oscar Wilde dont d’ailleurs le long-métrage fait une très subtile allusion. Le récit se déroule pendant la Grande Guerre puis les Années folles qui ont suivi, où seules les classes aisées pouvaient jouer avec les normes et s’affranchir de la loi grâce aux liens étroits qu’elles entretenaient avec le pouvoir anglais.
En ce sens, Les carnets de Siegfried fait le portrait d’un héros complexe, rongé par sa colère contre la guerre qui a massacré des millions de soldats et, en même temps, protégé de ses conséquences grâce à ses appartenance bourgeoises. Sa plume est reconnue dans les salons cossus, mais finalement assez peu audible, à l’exception d’un texte qu’il publie où il fait l’apologie de son rejet de l’armée. Il est sauvé in extremis par un proche et est conduit dans une clinique psychiatrique où il connaît ses premiers émois homosexuels. Terence Davies incruste son récit d’images réelles de la Première Guerre mondiale où les corps et visages explosés par les bombes se succèdent. Il y a un grand contraste entre ces séquences d’époque, terribles, et la vie de dandy que mène Siegfried qui pourtant ne cesse de dénoncer les atrocités de la guerre. Militantisme de salon, diraient certains. Le personnage de Siegfried est plus complexe que cela. Il évolue en permanence entre son militantisme affiché, son goût pour la littérature, son désir de conformité, de reconnaissance sociale, et son attrait pour les hommes qu’il souhaite vivre intensément, là où, en vérité, l’existence de Sassoon a été très marquée par son engagement sur le front qui a changé sa littérature pour toujours.
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L’intérêt majeur de ce film, au-delà de l’histoire, demeure la mise en scène. Presque toutes les séquences se déroulent dans des lieux clos. Le cinéaste assume le dénuement total de la réalisation, mettant en valeur les costumes et les décors, au détriment d’une caméra cherchant à innover et à multiplier les points de vue. Les dialogues, émaillés des texte du poète, prennent toute la place sur l’écran, presque comme un théâtre filmé. À la limite, l’environnement cinématographique devient presque accessoire dans une œuvre obsédée par le dépouillement et l’apparente simplicité de la mise en scène. Apparente, car le travail des comédiens sur le texte, la grande fébrilité du propos, l’ambivalence permanente de la représentation du poète par Terence Davies, font montre d’une recherche très importante, tant sur le sujet lui-même, que sur la manière dont il veut rendre compte de l’existence de cet homme.
Les carnets de Siegfried est un film brillant, puissant, au service de la biographie d’un écrivain anglais, autant passionnant que parfois totalement rugueux et insaisissable. La grande frivolité du milieu aisé dans lequel il évolue est rendue avec beaucoup de tact, mais aussi une grande sévérité voire une certaine ironie, quand il s’agit pour ces bourgeois bohèmes de s’élever contre la guerre et de couler en même temps des jours paisibles dans l’opulence et le superflu. Terence Davies que nous n’avions pas revu depuis le non moins intéressant Emily Dickinson, A Quiet Passion en 2016, réinvente le genre du biopic en prenant bien des largesses sur le récit réel du poète Siegfried Sassoon. On ne peut alors que regretter la disparition récente du réalisateur, qui nous prive d’une suite sans doute brillante à sa filmographie existante.
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