Le 20 février 2016
Un Kurosawa mineur, plombé par une pièce d’origine trop démonstrative, mais la maîtrise du cinéaste demeure.


- Réalisateur : Akira Kurosawa
- Acteurs : Toshirō Mifune, Minoru Chiaki, Isuzu Yamada, Eijirō Tōno, Kyōko Kagawa, Haruo Tanaka, Kamatari Fujiwara, Kōji Mitsui (Hideo Mitsui), Ganjirō Nakamura, Kichijirō Ueda, Akemi Negishi, Eiko Miyoshi
- Genre : Drame, Thriller, Noir et blanc
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Carlotta Films
- Durée : 2h01mn
- Reprise: 21 août 2024
- Titre original : Donzoko
- Date de sortie : 28 janvier 1981

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– Année de production : 1957
– Reprise en version restaurée : 21 août 2024
Résumé : Dans les bas-fonds d’Edo, à l’écart du reste de la ville, se tient une auberge miteuse tenue par l’avare Rokubei et sa femme. Dans cette véritable cour des miracles vivent entre autres un acteur raté, un ancien samouraï, une prostituée et un voleur. Un jour, un mystérieux pèlerin débarque dans ce lieu de misère. À son contact, les habitants de l’auberge se mettent à rêver et à croire en de jours meilleurs…
Critique : En contre-plongée, deux hommes jettent des ordures dans une fosse. Cette fosse, ce « dépotoir » est le lieu que la caméra ne quittera pas et dans lequel vit un groupe de miséreux. Kurosawa filme l’intérieur sordide, la cour minable ou une ruelle étroite, autant de lieux clos contre lesquels se cognent les personnages, prisonniers de rêves ou d’un passé fantasmé, prisonniers aussi d’un cadre enfermant soigneusement composé. Plutôt que de personnages, il faudrait d’ailleurs parler d’archétypes : ils sont moins des êtres humains que des fonctions dérisoires (l’acteur incapable d’articuler, le policier sans autorité, la prostituée romantique ou le samouraï ridicule). Tous sont à la merci d’un propriétaire cupide et pathétique et de sa femme insatisfaite.
Que faire de ces pantins en huis-clos, tant du point de vue du scénario que du point de vue filmique ? Car enfin, si l’origine théâtrale que Kurosawa ne cherche pas à cacher privilégie le dialogue, d’ailleurs pas toujours léger, ce qui fascine c’est le surplace des personnages : à part de rares et tragiques péripéties, chacun reste prisonnier de répétitions sans fin, annoncées dès le début. Un peu à la manière d’une pièce de Beckett, ils vivent un éternel présent, avec les mêmes disputes, les mêmes monologues aliénants. Incapables d’affronter la réalité ou de la transformer, ils gémissent et ressassent, évoquant parfois le Sartre de Huis-clos. Mais il faut bien l’avouer, le texte a vieilli : les dialogues sont démonstratifs et manquent singulièrement de subtilité, les personnages caricaturaux et monolithiques.
Mais c’est la mise en scène de Kurosawa qui fait le sel du film : jouant magnifiquement des possibilités réduites du décor, il travaille des motifs comme l’obstacle ou le caché avec une invention constante : le voleur et la belle-sœur séparés par un tronc, le vieux sage camouflé dans un coin du cadre, par exemple. Mais c’est toute la scénographie qui transcende le scénario et lui confère une profondeur humaine. C’est elle aussi qui surprend et, il faut bien l’avouer, aide le spectateur à combattre un ennui certain.
Si la pièce d’origine, sur laquelle Renoir s’est cassé les dents vingt ans plus tôt, garde des traces d’un engagement assez lourd, le personnage du vieux sage qui écoute et soulage les autres apporte une dimension humaine bienvenue : il porte sur ces déchets vivants un regard qui les grandit et sauve le film du misérabilisme. Ce regard, cette attention accordée à chacun, c’est bien ceux de Kurosawa qui cherche les histoires des gens et écoute sans juger. Même lorsqu’il part, quelque chose de cette humanité profonde subsiste, ce qui nous vaut une dernière scène bouleversante dans laquelle les personnages trouvent enfin une âme.