Crépuscule à la cour du Roi soleil
Le 21 octobre 2014
Avec Les adieux à la reine, Benoit Jacquot signe un huit clos versaillais intriguant, sensuel et fort en luminosité. Entre élégance et cruauté.
- Réalisateur : Benoit Jacquot
- Acteurs : Diane Kruger, Virginie Ledoyen, Julie-Marie Parmentier, Dominique Reymond, Noémie Lvovsky, Jean-Chrétien Sibertin-Blanc, Jacques Nolot, Léa Seydoux, Lolita Chammah, Xavier Beauvois, Michel Robin, Grégory Gadebois, Anne Benoît, Jacques Boudet, Martine Chevallier, Hervé Pierre, Pierre Rochefort, Jacques Herlin, Vladimir Consigny, Véronique Nordey
- Genre : Drame, Historique
- Nationalité : Français
- Distributeur : Ad Vitam
- Durée : 1h40mn
- Date télé : 3 juillet 2016 22:50
- Chaîne : Numéro 23
- Date de sortie : 21 mars 2012
- Plus d'informations : http://www.advitamdistribution.com/...
Résumé : En 1789, à l’aube de la Révolution, Versailles continue de vivre dans l’insouciance et la désinvolture, loin du tumulte qui gronde à Paris. Quand la nouvelle de la prise de la Bastille arrive à la cour, le château se vide, nobles et serviteurs s’enfuient… Mais Sidonie Laborde, jeune lectrice entièrement dévouée à la reine, ne veut pas croire les bruits qu’elle entend. Elle est protégée par Marie-Antoinette, rien ne peut lui arriver. Elle ignore que ce sont les trois derniers jours qu’elle vit à ses côtés.
Critique : Après le bouleversant Au fond des bois et son héroine jetée à corps perdu dans une dévastatrice passion amoureuse, le cinéaste rempile avec un nouveau film historique, plus policé mais pas moins séditieux. Dépouillée des us et coutumes du genre, l’histoire gagne en légèreté et modernité, s’attardant sur les révolutions intérieures plus que la révolte extérieure. Une belle originalité qui permet de s’affranchir des clichés et imageries populaires attachés à la prise de la Bastille et d’offrir à l’œil du spectateur un champ historiquement vierge. Dans Les adieux à la reine, Versailles est un pays en soi. Aussi, quand les frontières se ferment, ses sujets se retrouvent cloîtrés et confinés dans un paysage irréel, contrasté et parfois même absurde. Ici, le soleil c’est le roi, et toute la journée se prévoit en conséquence. Les nobles délaissent leurs châteaux pour vivre au palais parqués aux sous sols dans des cellules de neuf mètres carrés. Une masse fourmillante, souterraine, clandestine, qui, à l’heure de la révolte, trouve refuge dans ses sombres et maigres décors, éclairés à la simple lueur d’une bougie.
Un décor évocateur et incantatoire, qui témoigne de l’insalubrité et du pourrissement du système. Sur le lac, la lectrice de la reine, Sidonie Laborde (Léa Seydoux), se promène en gondole et laisse gracieusement filer sa main sur l’eau pour finir par hurler de terreur. À ses côtés, un rat surnage, présageant déjà les prémices d’un naufrage. Et c’est là toute la force du cinéaste : déjouer l’aspect solaire du plan pour en dévoiler les noirceurs et perversions. Sous les apparences, les belles parures et les éléphantesques perruques, se cachent de nombreux secrets et intrigues. Marie Antoinette (Diane Kruger) fait figure d’exemple dans cet art du camouflage, passant d’une robe à l’autre, d’un tissu à l’autre, d’une coupe à l’autre avec nervosité et hystérie. Un art de la frivolité qu’elle pousse à l’extrême, ordonnant qu’on lui couse de nouveaux motifs alors même que le peuple réclame sa tête. Fort heureusement pour elle, sa lectrice, Sidonie, lui est entièrement dévouée. Inconstante, la reine passe dans ses dernières heures par tous les états : l’enfance et les caprices, l’inconstance et la sensualité, et enfin la maturité et la dignité. Une météorologie d’affects campés avec sérieux et concentration par l’actrice allemande. Une prestation tout ce qu’il y a de plus honnête à laquelle on aurait aimé voir s’ajouter un petit supplément d’âme. À l’inverse, Léa Seydoux est ici prodigieuse et presque effrayante : animale, taciturne et intuitive. Son obsession amoureuse pour la reine prend le pas sur la réalité.
Ce visage d’une beauté doucereuse mais d’une froideur implacable offre au rôle de Sidonie une étonnante ambiguïté. Sauvage et peu désireuse de se mêler aux autres, elle arpente seule les couloirs de Versailles, trouvant dans la compagnie de Jacob Nicolas Moreau, l’historiographe du royaume (ici le magnifique Michel Robin), un semblant d’amitié. Au milieu des livres et dans le calme de la bibliothèque, le regard de Sidonie, si dur, s’éclaircit. Mais c’est auprès de la reine qu’il se parsème d’étincelles. Dans leurs entrevues quotidiennes, Sidonie frémit au moindre frôlement de peau. Un tourment que Marie Antoinette s’amuse à entretenir par un cruel jeu du chat et de la souris. Sidonie le sait bien, pourtant elle ne ’’peut rien refuser à la reine’’. Un amour inconditionnel et une robuste patience qui donne à ce corps de frêle jeune fille, une force d’abnégation proche de la sainteté. La Bastille tombée, elle craint pour la vie de la reine et se résout à l’accompagner jusqu’à la fin. Mais très vite, le duo doit faire face à la majestueuse présence de Mme de Polignac (Virgine Ledoyen), maîtresse de la reine, terriblement libre et diaboliquement dominatrice.
Une triangulation amoureuse, féminine donc, le cinéaste avouant préférer les destins de femmes et jeunes femmes à celui des hommes. Si vous vous attendiez à voir un portrait psychologique d’un Louis XVI en fin de règne, passez votre chemin : ici l’honneur est faite aux dames. Dans son amour pour la reine, Sidonie risquera tout, acceptant d’échanger son identité avec celle de Mme de Polignac, pour mieux la protéger dans sa fuite du palais. Un grand film et une belle réussite. Seule ombre au tableau, cette étonnante fin ouverte qui laisse le destin de Sidonie et Mme de Polignac entre parenthèses, sur le bord d’une route lorraine. Seront-elles tuées ? Survivront-elles ? Personne ne le sait. Avec une lumière ombrageuse et une musique des plus envoûtantes, Les adieux à la reine croque une ambiance intimiste, subjective, et sentimentale pour ce film historique à taille humaine.
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Frédéric de Vençay 17 mars 2012
Les adieux à la reine - Benoit Jacquot - critique
Bien que s’attaquant à un grand sujet historique, Benoît Jacquot reste fidèle à son cinéma nerveux, viscéral et sensuel. Loin de la vision pop-chic de Sofia Coppola, il nous rend cette époque versaillaise avec un réalisme saisissant : rarement les ors de la galerie des glaces ou la lourdeur des perruques auront été aussi palpables. Préférant les battements intimes aux avancées politiques, bref le coeur à la raison, Jacquot nous dresse ici un éblouissant portrait de femme(s), servi par des comédiennes impeccablement dirigées (notamment Diane Kruger, actrice plutôt moyenne qui est ici parfaitement convaincante et émouvante). Quasiment rien à redire de ce "crépuscule des rois" exhalant la pourriture et la maladie, que ne renierait pas Visconti (aussi bien celui du "Guépard" que de "Mort à Venise") - n’était, effectivement, ce dénouement un peu rapide.
roger w 28 mars 2012
Les adieux à la reine - Benoit Jacquot - critique
Certes, la vision plutôt réaliste de Benoit Jacquot respecte sans nul doute la vérité historique. On est également convaincu par la rigueur de sa réalisation et par le trouble qui émane de ses actrices. Toutefois, on est en droit de rester un peu extérieur à ce drame qui touche la cour de France au moment de la révolution. Même si leur désarroi a bien été réel, comment s’apitoyer sur le sort de ceux qui ont écrasé un peuple tout entier durant des siècles, leur laissant la misère tandis qu’ils se pavanaient dans un luxe ostentatoire ? Adopter le point de vue d’une jeune femme du peuple aveuglée par les ors est certes intéressant, mais finalement le film ne propose qu’une vision très étroite de la période. Le film est indéniablement bon, mais pas passionnant pour autant.
Jean-Patrick Géraud 10 juin 2012
Les adieux à la reine - Benoit Jacquot - critique
Benoît Jacquot adapte intelligemment Chantal Thomas, reprenant les grandes lignes du roman tout en refusant le parti-pris du journal intime. Le film est, du coup, porté par un certain sens de la dramaturgie, qui culmine lors de belles scènes, notamment celles avec la Reine ou le personnage de Moreau. L’interprétation de Kruger (virtuose), et Lvovsky compense la faiblesse d’une Léa Seydoux pas très à l’aise dans le registre corseté du film d’époque. La mise en scène est quant à elle hésitante, oscillant entre l’introspection - caméra à l’épaule lorsque Sidonie parcourt les galeries - et le désir d’une certaine "distance" ou "retenue" classique, un peu pompeuse, notamment lorsque le cinéaste filme les extérieurs. L’ensemble tient donc la route malgré une utilisation affreusement lourde de la musique, beaucoup trop calquée sur les dialogues, et qui donne à l’oeuvre un côté "téléfilm" parfois grotesque.
Au final, Jacquot échoue à l’endroit où Coppola révélait toute l’étendue de son talent. Car même si ces Adieux ne manquent pas d’évoquer un certain contexte politico-financier très actuel, le film manque de personnalité, redoutant par trop de s’éloigner de la grande Histoire. Il s’en ressent un côté très scolaire, là où Coppola manifestait de la liberté dans ses choix de mise en scène, affichant une sorte d’indifférence à l’égard du genre historique et faisant oeuvre d’auteur, au sens plein de ce terme. Si la comparaison n’ôte certes pas aux Adieux un certain nombre de qualités techniques ou formelles, elle fait néanmoins apparaître son relatif manque d’intérêt à l’égard du sujet qu’il traite.