Le 31 mai 2021
En s’emparant de l’œuvre de Marguerite Duras, Benoît Jacquot transforme le cinéma en une symphonie de couleurs, de son et de mots. Forcément sublime !
- Réalisateur : Benoit Jacquot
- Acteurs : Charlotte Gainsbourg, Niels Schneider, Julia Roy, Nathan Willcocks
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Distributeur : Les Films du Losange
- Durée : 1h31mn
- Date de sortie : 2 juin 2021
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Résumé : Années 60. Une villa de vacances, au bord de la mer, hors saison. Une femme, Suzanna Andler, 40 ans, mariée, mère. Son jeune amant, le premier, Michel. La solitude, les doutes, l’envie de liberté, les choix de la vie. Et l’amour. D’après la pièce de Marguerite Duras (1968)
Critique : Benoit Jacquot fait partie de ces rares cinéastes à avoir eu la chance de côtoyer l’écrivaine Marguerite Duras. Il en connaît la petite musique, la délicatesse des mots, la sensualité des corps. Il sait surtout apprivoiser les bruits de l’auteure, ceux de sa maison à Neauphle-le-Château, ceux du reflux de la mer, depuis l’Hôtel des Roches Noires. Ainsi, cette fois, Jacquot installe sa caméra dans une superbe villa en face de la Méditerranée, où, à la façon de l’entretien qu’il avait conduit avec Duras elle-même dans son film Ecrire, il donne vie aux craquements des pas sur le plancher, aux fenêtres qui s’ouvrent dans un souffle, et au bruissement des vagues, tout en bas de la falaise. Suzanna Andler a été offerte au cinéaste par la romancière quand il avait vingt ans. Tant d’années ont passé, le temps sans doute de mûrir cette œuvre que l’écrivaine semblait bouder, le temps de se préparer au pari de faire un film écrit par Duras et qui ne soit pas de Duras.
- Copyright Les Films du Losange
Suzanna Andler est une femme abandonnée. Elle survit le week-end aux fugues de son mari, un homme richissime, qui multiplie les rencontres féminines. Elle devrait le quitter. Mais sa vie n’est finalement que mensonges. Elle travestit la réalité par des ellipses de langage, des écarts de mots, comme pour fuir le risque qu’elle encourt de tomber amoureuse à son tour d’un autre homme, et de renoncer au luxe que lui offre son mari volage. Charlotte Gainsbourg habite Suzanna avec une grâce et une noblesse incroyables. Elle paraît sans âge. Le visage est glacé, le corps se perd dans un manteau de fourrure qui fait écho aux vêtements que portait l’écrivaine en son temps. Elle porte des bottes d’un noir sombre qui donnent à sa silhouette la splendeur des héroïnes tragiques. Sa voix, à peine soufflée, presque enfantine, contraste avec la majesté de la posture. Suzanna est une femme défaite, sur le fil, qui attend de mourir peut-être. Et la profondeur que Gainsbourg apporte à son personnage, rajoute en intensité et en douleur, faisant d’elle autant la victime d’un mari volage qu’une tragédienne, qui réécrit sa vie pour la ré-enchanter.
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Tout Duras est déjà contenu dans cette œuvre finalement mal connue. La défigurent de l’âge, l’alcool, la mer, l’impossibilité d’exister pour les personnages en dehors du langage, le non-événement, Michelet, et l’amour dévasté. Tout cela est mis en scène dans le texte. Les images que les comédiens et le cinéaste s’approprient le sont avec beaucoup de pudeur. Ils n’osent pas se confronter directement à la musicalité durassienne. Les phrases se déroulent simplement, comme des évidences, sans exagération. La caméra bouge à peine, préférant à l’emphase, à la brutalité des effets, la douceur de la lumière sur la mer et à travers les fenêtres. Elle colle le visage et le corps de Suzanna, jouant parfois avec les reflets de miroir où l’on pressent en écho le grand film de Duras India Song.
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Un autre personnage, et pas des moindres, s’invite dans ce poème à quatre voix (Suzanna, l’amant, le mari et l’amie). C’est la villa que la quadragénaire s’apprête à louer pour deux semaines. La bâtisse, immense, absolument magnifique, siège sur une falaise devant la mer. Elle ressemble au palais du vice-consul, elle est à peine meublée, elle laisse rentrer l’air épais de la mer, le son inquiet des mouettes et la lumière du ciel. Duras n’aurait pas rêvé mieux comme espace de mise en cinéma. La désinvolture avec laquelle Suzanna appréhende le lieu est presque suspecte. A moins qu’il ne s’agisse pour Benoit Jacquot de ne pas faire oublier au spectateur que l’essentiel de l’œuvre se situe dans le texte avant tout. En tout cas, Suzanna Andler signe un merveilleux moment de cinéma où le spectateur convoquera tous ses sens.
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