Je thème moi non plus
Le 27 août 2023
Le thème inquiétait suffisamment les instances dirigeantes de l’Union soviétique pour que le film soit bloqué pendant sept ans. C’est que le film évoquant l’exil des artistes ébranle la sacro-sainte foi en la révolution. Ours d’or à Berlin en 1987.
- Réalisateur : Gleb Panfilov
- Acteurs : Inna Tchourikova, Mikhail Oulianov, Evgueni Vesnik
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Russe
- Editeur vidéo : Potemkine
- Durée : 1h38mn
- Titre original : Tema
- Date de sortie : 25 mars 1987
- Festival : Festival de Berlin 1987
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– Année de production : 1979
Résumé : Un écrivain célèbre en mal d’inspiration vient se ressourcer dans une petite bourgade enneigée.
Critique : Le thème fut longtemps bloqué par la censure. Lorsqu’il sortit, il remporta l’Ours d’or à Berlin mais le monde dont il était question dans le film était déjà en train de vaciller. On était en pleine Glasnost et bientôt le système entier allait s’écrouler. Du coup, les éléments du film à l’origine de la censure (l’exil des artistes, la compromission avec le pouvoir) n’ont aujourd’hui plus d’autre intérêt que d’apporter une perspective historique sur cette époque, ce qui en soi n’est pas inintéressant. Mais ce qui fait que le film reste pertinent encore aujourd’hui, c’est qu’il repose le problème de la mission de l’artiste et de son rapport au réel, comme c’était déjà le cas dans les films précédents de Panfilov. On est dans la tête du dramaturge Kim Essenine qui revient au pays. C’est un artiste célèbre et pourtant il est assez déprimé, a le sentiment d’avoir raté sa vie. Il s’éprend de Sacha, une jeune femme qui voudrait bien écrire un livre sur un poète naïf oublié de tous. On pourrait sympathiser avec le dramaturge parce qu’il est en plein désarroi mais en même temps on comprend vite sa vanité. C’est qu’il a une fâcheuse tendance à croire que sa célébrité lui confère une certaine supériorité. Il est certain que Sacha ne peut être qu’amoureuse de lui. Forcément personne ne lui résiste. Sauf que Sacha l’a percé à jour. Elle préfère ceux qui ont su rester sincères, ceux qui ne se sont pas avilis dans le confort en vendant leur art au pouvoir. C’est pourquoi elle veut écrire sur un poète mort et enterré dans la forêt loin de tout. Et c’est pourquoi elle en aime un autre : un jeune artiste qui a dû renoncer à son art car il n’a pas le droit de s’exprimer comme il l’entend. Le voilà obligé de s’exiler à son tour, ce qui fend l’âme de la jeune femme.
- Inna Tchourikova
- © Les Films Cosmos, Mosfilm. Tous droits réservés.
Le film est assez noir, encore plus désabusé que les films précédents de Panfilov. Parfois il confine à la cruauté, on se croirait chez Bergman (période Scènes de la vie conjugale). L’esthétique du film renforce cette impression. Les couleurs sont grises, ternes, comme si Panfilov filmait la veillée funèbre d’un monde qui disparaît. On s’attendrait à voir la pellicule se désagréger. On se sent bizarre après avoir vu un tel film, on a les jambes qui vacillent un peu, on est ébranlé comme l’est Essenine. Que pouvons nous tirer de cette mise à mort ? Derrière toute négation il y a une affirmation. En l’occurrence ici il s’agit certes de réaffirmer la mission de l’artiste mais au-delà de cet aspect, il y a une leçon éthique qui pourrait s’appliquer à n’importe qui. Le cinéma de Panfilov est profondément éthique. Il nous rappelle qu’il est préférable de vivre sincèrement en suivant sa vérité intérieure plutôt que de vivre selon les modes et de s’épuiser dans la quête de vains succès, quête qui finira par se retourner contre nous. Du moins on peut le voir comme ça. Parce qu’après tout, Panfilov montre sans juger. La sincérité n’est pas forcément facile. L’amant de Sacha qui s’exile aura toujours la nostalgie de la Russie (il connaîtra sûrement la douleur des personnages des derniers films de Tarkovski réalisés à l’étranger), il est condamné à une certaine tristesse. Plus qu’à une injonction morale, Le thème nous confronte donc à un choix existentiel : être soi-même ou vivre pour plaire. Et ce genre de choix dépasse toutes les époques, il nous renvoie à l’alternative qu’a connu et que connaîtra tout être humain. C’est pourquoi Le thème nous bouleverse et se montre intemporel.
– Ours d’or à Berlin en 1987
– Sortie DVD : 7 octobre 2014
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