Soviet suprême
Le 17 août 2020
L’apparition de la couleur chez Panfilov coïncide avec un certain désenchantement face à la situation de l’URSS dans les années 70. Inna Tchourikova incarne encore une fois avec brio un personnage que le pouvoir éloigne des siens.
- Réalisateur : Gleb Panfilov
- Acteurs : Nikolaï Goubenko, Inna Tchourikova, Vassili Choukchine , Leonid Bronevoï
- Genre : Drame
- Nationalité : Russe
- Editeur vidéo : Potemkine
- Durée : 2h25mn
- Titre original : Prochou slova
- Date de sortie : 9 février 1977
Résumé : Malgré la mort accidentelle de son fils, la maire d’une petite ville continue de faire face à ses responsabilités.
Critique : Les films de Panfilov sont des trésors oubliés. Il est temps de redécouvrir l’œuvre de ce cinéaste. On retrouve dans son troisième film Je demande la parole les éléments forts de son cinéma : finesse psychologique, dialogues et situations mûrement pensés, analyse profonde. Quant à Inna Tchourikova elle y est encore épatante. On peut dire qu’elle a été pour Panfilov ce que Liv Ullman a été pour Bergman ou ce qu’Uma Thurman a représenté pour Quentin Tarentino (dans un tout autre genre !). Je demande la parole vient après Pas de gué dans le feu et Le début. Le film est plus pessimiste que ses prédécesseurs. Sans doute faut-il y voir un écho du désenchantement de la période brejnevienne, succédant au vent de renouveau incarné par Khroucthtchev entre 1953 (mort de Staline) et le milieu des années 60. On laissera le soin aux historiens de se prononcer sur ces aspects. Mais en tout cas Je demande la parole est un film désabusé.
Tchourikova incarne cette fois Lisa Ouvarova, la maire d’une petite ville. Elle est volontaire, a plein de projets. Elle rêve de construire un pont puis une ville nouvelle de l’autre côté du fleuve. On retrouve l’idée de l’émancipation des précédents films. Lisa Ouvarova s’est battue pour en arriver là. Avant de faire de la politique, c’était une athlète de haut niveau, une championne de tir. Tout un symbole. Sauf qu’ici on comprend que quelque chose a été perdu : une certaine simplicité, un rapport aux sources. Lisa délaisse sa famille. Elle méprise son mari qui, moins ambitieux, n’est que l’entraîneur de foot de l’équipe locale. Son fils se tue en jouant avec une arme. Ce drame peut être perçu comme une conséquence du fait que Lisa n’est pas assez présente. Sinon elle aurait pu enseigner tout ce qui est lié aux armes à ses enfants, vu qu’il s’agit de son univers. Elle néglige sa famille pour un profit finalement assez faible. Englués dans la lourdeur administrative orchestrée par les plans quinquennaux, on n’est pas sûr que ses projets de pont et de ville nouvelle aboutiront. Que reste-t-il si ce n’est le pouvoir ? Comme celui d’imposer à un auteur des coupes dans sa pièce. L’esthétique du film va à l’unisson de cet éloignement. Pour la première fois, Panfilov utilise les couleurs, mais celles-ci sont froides, minimalistes. Ce sont les couleurs de l’esthétique soviétique et au-delà celles de la désillusion. Ainsi alors que Pas de gué dans le feu affirmait qu’on ne peut pas ne pas s’engager, Je demande la parole agit comme un contrepoint, une affirmation contraire de la nécessité de revenir à quelque chose de plus essentiel. Ce qui est magnifique chez Panfilov, c’est cette idée que la révolution ne peut se faire sans les gens du peuple et les sentiments profonds qui lui donnent un sens : l’amour du pays, de sa famille, des sans-grades, des petits, des exclus. Alors lorsque la révolution se coupe de tout cela, elle perd son âme. Dans l’œuvre de Panfilov, il y a décidément une pensée politique et éthique très forte.
– Sortie DVD : le 7 octobre 2014
Le choix du rédacteur
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.
Claude Rieffel 9 novembre 2014
Je demande la parole - la critique du film
Les deux premiers films du tandem Panfilov-Tchourikova étaient portés par un sentiment d’euphorie lucide reposant sur un goût prononcé de l’expérimentation formelle et sur une empathie entre le cinéaste et l’actrice qui maintenait cependant un reste de distance étonnée face à l’étrangeté de ce visage atypique et de ces figures féminines déroutantes. Ici la part de cruauté dans le regard du cinéaste-spectateur est plus manifeste et Tchourikova/Ouvarova est souvent mise à l’épreuve de la durée du plan fixe, comme attendue au tournant. Le film, bien que plus long et plus lent, en acquiert une incroyable tension, une formidable énergie animée par une espèce d’humour désabusé. L’actrice est une fois de plus prodigieuse et défend bec et ongles un personnage que sa volonté de contrôle expose sans cesse au ridicule (la maestria assez dérisoire avec laquelle elle gère le problème de la fissure de l’immeuble dans la séquence de la noce). Parmi les moments les plus impressionnants de ce film captivant de bout en bout : la longue scène au chevet de l’ancien combattant où la chanson entonnée en choeur réveille l’écho d’un esprit révolutionnaire qui émeut mais semble flotter, sans prise sur le présent du réalisme sovietique des années 70 ; la confrontation à coups mouchetés, déguisée en flirt, de l’héroïne avec l’écrivain Fedia* dont la pièce a été censurée ; son visage défait, absent, à son retour de Moscou après que son projet de pont ait été reporté au prochain plan quinquennal.
* Le rôle de l’écrivain est joué par Vassili Choukchine (ou Shukshin - Василий Шукшин), interprète de Khoutsiev, Barnet ou encore Askoldov, mort au cours du tournage en octobre 1945, d’où l’idée de transformer la deuxième confrontation en conversation téléphonique.
Claude Rieffel 9 novembre 2014
Je demande la parole - la critique du film
Les deux premiers films du tandem Panfilov-Tchourikova étaient portés par un sentiment d’euphorie lucide reposant sur un goût prononcé de l’expérimentation formelle et sur une empathie entre le cinéaste et l’actrice qui maintenait cependant un reste de distance étonnée face à l’étrangeté de ce visage atypique et de ces figures féminines déroutantes. Ici la part de cruauté dans le regard du cinéaste-spectateur est plus manifeste et Tchourikova/Ouvarova est souvent mise à l’épreuve de la durée du plan fixe, comme attendue au tournant. Le film, bien que plus long et plus lent, en acquiert une incroyable tension, une formidable énergie animée par une espèce d’humour désabusé. L’actrice est une fois de plus prodigieuse et défend bec et ongles un personnage que sa volonté de contrôle expose sans cesse au ridicule (la maestria assez dérisoire avec laquelle elle gère le problème de la fissure de l’immeuble dans la séquence de la noce). Parmi les moments les plus impressionnants de ce film captivant de bout en bout : la longue scène au chevet de l’ancien combattant où la chanson entonnée en choeur réveille l’écho d’un esprit révolutionnaire qui émeut mais semble flotter, sans prise sur le présent du réalisme sovietique des années 70 ; la confrontation à coups mouchetés, déguisée en flirt, de l’héroïne avec l’écrivain Fedia* dont la pièce a été censurée ; son visage défait, absent, à son retour de Moscou après que son projet de pont ait été reporté au prochain plan quinquennal.
* Le rôle de l’écrivain est joué par Vassili Choukchine (ou Shukshin - Василий Шукшин), interprète de Khoutsiev, Barnet ou encore Askoldov, mort au cours du tournage en octobre 1974, d’où l’idée de transformer la deuxième confrontation en conversation téléphonique.