Le 30 juillet 2016
Le premier grand mélodrame de Sirk qui rend émouvante par son incroyable maîtrise une fable lacrymale.
- Réalisateur : Douglas Sirk
- Acteurs : Rock Hudson, Jane Wyman, Mae Clarke, Otto Kruger, Agnes Moorehead, Paul Cavanagh, Richard H. Cutting, Gregg Palmer, Barbara Rush, Judy Nugent
- Genre : Mélodrame
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Ciné Sorbonne (reprise)
- Durée : 1h48mn
- Reprise: 10 avril 2019
- Titre original : Magnificent Obsession
- Date de sortie : 18 mai 1955
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Résumé : Un jeune milliardaire est victime d’un accident. Sa vie est sauvée au détriment de celle d’un éminent docteur. Dès lors, rongé par la culpabilité, il va tout faire pour se racheter auprès de la femme de ce dernier.
Critique : Voici un film qui n’est absolument pas destiné à ceux que Hitchcock appelait « nos amis les vraisemblants ». Le scénario, inspiré d’un roman édifiant, conjugue tant de coïncidences et de hasards forcés, de rebondissements miraculeux, qu’il serait facile d’en faire une parodie ou de viser le second degré ; Douglas Sirk, pour son premier « grand mélodrame », fait exactement le contraire, il prend à bras le corps les invraisemblances, les épure et les montre de façon ostentatoire. Le sérieux avec lequel il aborde le parcours initiatique et spirituel de Merrick (Rock Hudson), fils de riche gâté et égocentrique qui découvre une « philosophie » altruiste et répare le mal qu’il a fait, ce sérieux n’est jamais pris en défaut : Sirk en accentue la dimension symbolique ; ainsi le docteur Phillips, à l’origine du « secret » ne sera-t-il jamais à l’écran, sorte de Dieu abstrait et dont l’image suffit à convertir.
Mais d’une manière générale, tout le travail du cinéaste vise à réduire l’histoire à sa plus simple expression : peu de personnages secondaires, et qui tous jouent un rôle par rapport aux protagonistes. Tous convergent en un fort mouvement centripète dont le point d’aboutissement est la constitution d’un couple et font figure d’intercesseurs : les médecins qui prennent Merrick sous leur aile, Nancy la fidèle qui passe son temps à s’inquiéter, la petite fille au bord du lac… Ils n’ont d’existence que dans la mesure où ils font avancer la narration vers son dénouement. Pas de vie en dehors de cette tension constante.
Sirk multiplie les signes religieux, jusqu’au médecin « dans les cieux » qui assiste à l’opération ; il retrouve par un langage codé (« forces supérieures, puissances infinies ») et par le rôle capital du secret une religion des origines, proche encore de la secte ou de la confrérie, uniquement tournée vers le Bien, et qui s’appuie sur des êtres d’exception. Mais le cinéaste, en prenant au sérieux ces personnages et leur destin, en les accompagnant de chœurs célestes, ne fait pas qu’illustrer une bondieuserie : il recrée un monde à sa mesure, c’est à dire une abstraction qui ne laisse au centre que l’humain, le sentiment, d’où cette abondance de gros plans ou de plans rapprochés, d’incessants recadrages. Le reste importe si peu qu’il est souvent réduit à un ensemble de lignes et d’aplats de couleurs, quand ce n’est pas une transparence ou des toiles peintes. Ainsi de la Suisse, simple carte postale et prétexte à une fête « des origines » - là encore il s’agit de revenir à l’essentiel, aux premiers temps, à l’innocence. Les lieux deviennent des constructions théoriques qui ne servent qu’à se perdre et à se retrouver. C’est qu’au fond le voyage est autant mental que symbolique et n’est pas de ressort du réel. En quoi le studio est l’élément idéal du mélodrame sirkien, seul à même de se plier à sa vision anti-naturaliste. Par l’éclairage, le travail sur les couleurs, il plie l’image à sa conception.
Rien pourtant de raide et d’amidonné : l’essentiel, l’humain, est au contraire porté par un rythme ample qui donne la mesure élégiaque du drame.
- © Universal Studios. Tous droits réservés.
En somme, si la mise en scène se concentre à ce point, c’est qu’elle épouse le mouvement de Merrick, se débarrassant de l’accessoire. Ce mouvement est en fait double : il s’agit, du point de vue cinématographique, de s’éloigner du centre (l’égoïsme et le mépris initial), d’où ces panoramiques dévoilant sa présence secrète, puis de le reconquérir pour le partager. Lente conquête évidemment, qui passe par de nombreux et imperceptibles changements : ce peut être l’éclairage, la scénographie, ou de simples détails, comme l’adoption de la pipe, figure de la sagesse. Mais partout la maîtrise de Sirk éclate : ainsi quand les médecins doivent annoncer à Helen qu’elle restera aveugle, la scène commence-t-elle par un lent travelling qui aboutit à un carré formé par les trois docteurs et la patiente. Une fois installé cette figure d’équilibre, le cinéaste la casse par un montage fragmenté qui va traduire l’embarras, puis l’aveu d’échec.
- © Universal Studios. Tous droits réservés.
On accorde souvent au mélodrame l’épithète « flamboyant », c’est même un lieu commun critique ; et sans doute cela vise-t-il d’autres films de Sirk, de manière plus adéquate. Mais avec Le Secret magnifique, prototype et essence du genre, le cinéaste présente comme un schéma qu’il développera dans les œuvres suivantes, comme un programme de ce qui fera sa marque. N’oublions cependant pas l’essentiel : à qui accepte le jeu sans ricaner, le réalisateur propose un spectacle constamment émouvant. Impossible, sauf à être complètement insensible, de ne pas verser une larme à chaque étape de la rédemption ; impossible de ne pas être ému par l’opération finale et par le somptueux et si simple dernier mot : « tomorrow ».
- © Universal Studios. Tous droits réservés.
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