Le 5 janvier 2018
La détresse d’une vieille femme rejetée par les siens. Un premier long métrage semi-autobiographique, étude de mœurs saisissante et modèle d’épure.
- Réalisateur : Zhang Tao
- Acteurs : Yu Fengyuan, Li Fengyun, Chen Shilan, Pan Yun, Ruan Fengming
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Chinois
- Distributeur : Dulac Distribution
- Durée : 1h22mn
- Box-office : 2.262 entrées Paris Périphérie (sur 5 salles, en première semaine)
- Titre original : Last Laugh
- Date de sortie : 27 décembre 2017
- Festival : Festival de Cannes 2017
Résumé : Dans un village du Shandong, une vieille paysanne fait une chute. Immédiatement, ses enfants en profitent pour la déclarer inapte et l’inscrivent malgré elle dans un hospice. En attendant qu’une place se libère, la doyenne séjourne chez chacun de ses enfants, alors qu’aucun ne veut la prendre en charge. Elle voyage ainsi de famille en famille, tandis que son état de santé et ses rapports familiaux se dégradent. Un rire désespéré et maladif finit par poindre chez cette vieille femme délaissée.
Critique : Le rire en question est la manifestation d’un trouble psychique dont souffre la vieille dame, conséquence d’une mauvaise circulation sanguine au niveau du cerveau, et qui peut être la séquelle d’une embolie. Premier long métrage d’un cinéaste formé à l’Académie Centrale d’Art Dramatique de Pékin, Le Rire de Madame Lin a d’abord une connotation autobiographique, puisque le personnage central est inspiré de la propre grand-mère de Zhang Thao : il fut choqué du traitement que ses parents infligèrent à une aïeule jugée encombrante. Le cas n’est semble-t-il pas isolé dans la Chine rurale actuelle, et le réalisateur s’est livré à une enquête sur ce sujet, dont la synthèse constitue la trame scénaristique du film. Au-delà du drame personnel et de l’étude de mœurs saisissante, Le Rire de Madame Lin se veut une dénonciation sans concessions des dérives de l’actuelle société chinoise, passée de la dictature maoïste à une économie de marché impitoyable avec ses laissés-pour-compte.
- Copyright Sophie Dulac Distribution
Si les enfants de Madame Lin ont des circonstances atténuantes (la précarité d’emploi, les difficultés financières des petits commerçants et paysans), le cinéaste n’en regrette pas moins l’individualisme ambiant qui s’est substitué aux solidarités communautaires et familiales. Malgré des gestes d’attention de la part de deux de ses petites-filles, Madame Lin n’a plus sa place dans cette parentèle mais n’en continue pas moins de prier pour le salut de ses enfants, fidèle à ses valeurs et principes. Loin de jouer la carte du mélodrame (démarche d’un Jiang Zhangke dans l’excellent Au-delà des montagnes), Zhang Tao opte pour le style documentaire, maniant l’épure et l’art du plan fixe avec une rigueur étonnante pour un premier film. « Mon travail de mise en scène a consisté à faire voir et ressentir cette réalité. J’ai voulu capter le parler si particulier de ces paysans, le chant du coq le matin, les percussions du tambour, le grésillement des radios, et aussi retrouver la lumière brumeuse de l’hiver de la province de Shandong, l’égouttement de l’eau le long des murs, et la démarche d’une femme qui a travaillé la terre toute sa vie ».
- Copyright Sophie Dulac Distribution
Ces propos confiés dans les notes d’intention éclairent sa démarche, qui n’est pas sans évoquer l’ascèse d’un Bresson, même si le cinéaste revendique l’influence des opéras populaires qui incarnent l’essence de la culture rurale, véhiculant les idéaux de bonté et fidélité. En même temps, le film fait écho à ces œuvres qui ont abordé avec tact le thème de la vieillesse, de Place aux jeunes de Leo McCarey à La Ballade de Narayama de Shôhei Imamura, en passant par La Vieille dame indigne de René Allio. Et l’on pourra aussi déceler des ressemblances entre Madame Lin et deux autres personnages de vieilles femmes qui ont marqué le cinéma en 2017 : Mama Coco dans le dernier Disney Pixar, et Mme Claudine dans le documentaire Sans adieu de Christophe Agou. Coproduction franco-chinoise soutenue par l’ACID, Le Rire de Madame Lin est une œuvre aboutie qui mérite de rencontrer un public.
- Copyright Sophie Dulac Distribution
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.
NaiNai 17 novembre 2019
Le Rire de Madame Lin - Zhang Tao - critique
Le Rire de Madame Lin est un des meilleurs films de son temps : il montre à la fois l’effondrement des valeurs traditionnelles, et déplore que le peu qu’il en reste soit impitoyablement piétiné par une forme de modernité vulgaire, égoïste et avide.
Pourvu que Zhang Tao produise bien vite un nouveau film !