C’est un beau livre comme savent encore les réaliser ces éditeurs-artisans respectueux de leurs auteurs. Un livre imprimé sur un papier filigrané de couleur crème, à la reliure cousue, à la couverture sobre et délicatement ornée d’un dessin original à la plume. Un de ces livres qu’on a envie de lire d’emblée tant on ressent l’amour qui a entouré sa fabrication. Car c’est bien d’une histoire d’amour qu’il s’agit entre les éditions Le temps qu’il fait et Henri Thomas, l’oublié, prix Médicis 1960 avec John Perkins, prix Fémina 1961 avec Le promontoire [1], écrivain d’une rare finesse à redécouvrir d’urgence avec ce texte à fleur de désespérance.

Paris. A la frange des vacances de l’année 1969. Le plein jour, celui d’une poignée d’heures d’été aux nuits paradoxalement plus longues que les jours. Elle, Gabrielle, part avec son mari. Lui, Martigue, l’amant, vit ce départ comme un adieu définitif. Tente de se raccrocher à des signes, une touffe d’herbes bien vivaces, poussant entre deux pierres du pont Louis-Philippe "comme des aiguilles à tricoter piquées dans un coussin vert", image de leur amour. Mais de quel amour est-il capable, cet homme brisé, coulant doucement et sans se plaindre ?

En écho, Lucien, le fils de Martigue, Gilberte et Lison, les filles de Gabrielle. Frôlements, non-dits, larmes vite essuyées. La vie ne serait-elle que poussière et dissolution ? Les souvenirs des leurres ? Le présent insaisissable ? Le futur une chimère ? Vivre ne serait-il au bout du compte qu’un énorme questionnement : "Qu’est-ce qu’il se passe, enfin, qu’est-ce qu’il se passe ?"

Nulle réponse pour venir apaiser ce tourment. Gabrielle est partie. La touffe d’herbe a été arrachée par les services d’entretien. Un seul brin subsiste, "vivant, d’autant plus vigoureux qu’il est seul dans le terreau". Espoir d’une minceur squelettique, voix grelottante de l’homme, voix incertaine de son fils. Continuer à aller, mais vers quoi ?