La vie des morts
Le 3 mars 2004
Quand un vécu impartageable creuse l’incompréhension et le malentendu.

- Auteur : Soazig Aaron
- Editeur : Pocket

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Très loin d’un nouveau récit sur la déportation, Le non de Klara dit le retour impossible des camps de la mort, quand un vécu impartageable creuse l’incompréhension et le malentendu.
Klara est revenue, Klara est là. On ne l’attendait plus. Ils étaient tous revenus, ceux qui avaient pu. Klara, elle, a erré plusieurs semaines, à travers l’Europe. Des comptes à régler. 29 mois à Auschwitz, 38 kilos, il faut chercher, dans son regard, pour retrouver des traces d’avant. Le récit n’est pas celui de Klara, une énième variation sur la déportation. Non, c’est celui de Lika, l’amie, la belle-sœur, c’est celui de ceux qui sont restés, qui ont vécu tant bien que mal, entre faux-papiers et marché noir, et qui brutalement, voient s’entrouvrir la porte de l’enfer.
Klara ne dit rien, ne mange pas, ne dort pas, déambule toutes les nuits, d’un mur à l’autre du salon, et refuse. Refuse de tout son être ce retour à la normale, comme elle a refusé l’horreur, l’abjection, la mort. Et peu à peu, comme un flot qui peine à se frayer un passage avant de briser les digues, elle va dire. Elle va laisser s’écouler cette parole, non pas pour raconter, mais pour se vider, pour mettre des mots sur l’indicible, pour savoir qui elle est.
Le non de Klara, c’est le récit de cet éclatement de tous les repères qui font l’humanité. C’est le désarroi et l’impuissance de ceux qui ne peuvent qu’imaginer. C’est ce cataclysme qui balaie jusqu’à l’identité, quand la seule façon d’exister est de dire "non". Klara erre dans les décombres de Berlin, comme pour prendre la mesure de ses propres ruines, mais dans cette Europe dévastée, elle sait qu’elle n’a aucune chance de se reconstruire.
Soazig Aaron signe là un premier roman d’une bouleversante maîtrise, lucide et terrible, sans jamais tomber dans le rabâchage de l’horreur. La guerre est finie, on escamote comme on peut des blessures encore béantes pour croire en de beaux lendemains. Klara porte en elle la trace implacable du passé, de la douleur inguérissable, l’impossible retour à la vie de ceux qui sont déjà morts.
Soazig Aaron, Le non de Klara, Pocket, 2004, 158 pages, 5 €