Le 20 février 2023
Longtemps resté une figure marginale du cinéma d’horreur, le zombie deviendra central à partir du choc causé par la La nuit des morts vivants de George Romero en 1968. Un film à petit budget destiné aux drive-in, devenu culte grâce à une mise en scène percutante et un propos politique extrêmement virulent.
- Réalisateur : George A. Romero
- Acteurs : Duane Jones, Judith O’Dea, Karl Hardman, Marilyn Eastman, S. William Hinzman, George Kosana
- Genre : Épouvante-horreur, Film de zombies, Noir et blanc, Film culte
- Distributeur : Les Acacias, Solaris Distribution, StudioCanal
- Durée : 1h36mn
- Date télé : 19 juin 2024 23:55
- Chaîne : TCM Cinéma
- Reprise: 25 octobre 2023
- Titre original : Night of the Living Dead
- Âge : Interdit aux moins de 16 ans
- Date de sortie : 21 janvier 1970
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– Reprise en version restaurée : 25 octobre 2023
– Année de production : 1968
Résumé : Chaque année, Barbara et Johnny vont fleurir la tombe de leur père. La route est longue, les environs du cimetière déserts. Peu enclin à prier, Johnny se souvient du temps où il était enfant et où il s’amusait à effrayer sa soeur en répétant d’une voix grave : "Ils arrivent pour te chercher, Barbara." La nuit tombe. Soudain, un homme étrange apparaît. Il s’approche de Barbara puis attaque Johnny, qui tombe et est laissé pour mort. Terrorisée, Barbara s’enfuit et se réfugie dans une maison de campagne. Elle y trouve Ben, ainsi que d’autres fugitifs. La radio leur apprend alors la terrible nouvelle : des morts s’attaquent aux vivants.
Critique : Avant d’analyser le film, une précaution s’impose, à l’attention de celles et ceux qui n’ont découvert les zombies que récemment, à la faveur de Walking Dead ou World War Z : La nuit des morts vivants a légèrement vieilli.
Il y a le noir et blanc bien sûr (encore que celui-ci est d’une rare beauté) qui peut décontenancer, mais également le jeu outrancier de certains acteurs, les morts-vivants parfois ridicules ou encore la bande-son musicale un peu appuyée.
Mais une fois posée cette réserve, il faut bien reconnaitre que ce film est un chef-d’œuvre, dont la puissance visuelle et la charge subversive n’ont pas pris une ride. C’est à partir de ce long métrage que se créera l’imaginaire du zombie, qui se déplace en masse, avec comme seul objectif de se repaître de la chair humaine pour faire grossir la meute et que seule une balle dans la tête peut tuer. Mais bien au-delà, c’est tout un pan du cinéma américain (d’horreur mais pas seulement) qui sera bouleversé par cette approche radicale.
Ce qui frappe de prime abord, c’est la précision avec laquelle Romero construit son arc narratif. L’ouverture du film est assez simple, quelques plans découpés de façon classique qui montrent une voiture sur une route déserte et s’arrêtant au milieu d’un cimetière. Barbara et son frère viennent, comme chaque année, fleurir la tombe de leur mère. Quelques petits signes inquiétants troublent bien ce moment inoffensif (radio qui ne capte plus, tonnerre et éclair), mais rien de bien méchant. Sauf en fond une silhouette habillée de noir qui marche de façon bizarre entre les tombes, au moment où Johnny répète à sa sœur une phrase de leur enfance They’re coming to get you Barbara.
Et puis tout bascule. L’inconnu, on s’en doute, n’est autre que le premier zombie affamé, qui tuera Johnny lorsque celui-ci voudra défendre sa sœur agressée. La scène qui suit est d’une rare intensité et lance le film dans un chaos qui ne s’arrêtera plus, jusqu’au dernier plan.
Filmée caméra à l’épaule, au plus près des visages, avec des angles de prises de vue tordus et un son capté sur le vif, la fuite de Barbara est littéralement éprouvante pour le spectateur, jusqu’à son refuge dans une maison abandonnée et le début d’un huis clos étouffant.
Avec l’arrivée des autres personnages, Romero ne s’embarrasse pas de psychologie inutile, mais sait les caractériser parfaitement pour mieux affirmer son propos. Ainsi, aux côtés de cette pauvre jeune fille traumatisée par la mort de son frère, apparaissent simultanément un jeune Afro-américain (Ben) qui possède toutes les qualités du héros hollywoodien, et une famille lambda dont le père (Blanc) est l’archétype du pleutre (Harry).
En plein mouvement pour les droits civiques (Martin Luther King est assassiné en 1968, l’année de sortie du film), Romero jette un pavé dans la mare, en faisant de Ben un modèle d’intelligence et de bravoure, tandis que Harry ne cesse de se comporter comme un lâche et un traître. Un propos qui prendra tout son sens lors d’un final au pessimisme glaçant, qui laisse le spectateur sonné.
Romero s’inscrit ici dans la droite ligne d’un cinéma d’horreur comme reflet de la société américaine et de ses névroses. Au-delà de la lutte pour les droits civiques et de l’affrontement entre les Noirs et les Blancs, La nuit des morts vivants aborde également la peur du nucléaire (ce sont des radiations qui ont créé les zombies) ou encore la guerre du Vietnam avec cette menace extérieure mal identifiée.
Mais l’intelligence du cinéaste sur cet aspect va encore plus loin que ces références évidentes. Enfermés dans cette maison abandonnée et assaillis par ces morts-vivants dont le nombre ne cesse d’augmenter, les protagonistes cherchent à se barricader pour se protéger. Malheureusement pour eux, tout cela ne sert pas à grand-chose car la menace ne vient pas du monde extérieur mais se niche au cœur même du groupe. Ainsi, à l’issue de la longue séquence lors de laquelle Ben s’échine à clouer des planches sur les portes et les fenêtres de la maison, le conflit éclate entre Harry et lui dégénère dans une lutte sanglante.
La métaphore se lit dans toute sa splendeur : alors que l’Amérique de l’époque prétend lutter contre un ennemi extérieur (le communisme), c’est finalement en son sein que résident les ferments de la barbarie et de la cruauté. Un point de vue renforcé par ces morts qui ressortent d’une terre conquise par la violence, un héritage macabre dont les États-Unis ne peuvent s’exonérer.
Ce discours radical s’accompagne d’une mise en scène sèche et nerveuse, tout entière consacrée à son sujet, alternant le modernisme de la Nouvelle Vague (caméra embarquée en extérieur) et les conventions d’un cinéma plus traditionnel (musique envahissante et noir et blanc expressionniste).
Romero ne s’interdit rien et fait preuve une nouvelle fois d’une maestria incontestable dans la conduit du récit. Car si l’apparition des premiers morts-vivants peut prêter à sourire, leur comportement devient de plus en plus terrifiant au fur et à mesure que leur cannibalisme s’impose. La représentation de l’horreur devient frontale (sang, tripes et putréfaction), jusqu’à cette scène de matricide d’une brutalité extrême.
Mais point ici de complaisance dans la violence, le cannibalisme n’étant finalement que le symbole d’un pays qui se dévore lui-même.
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