Le 23 mars 2020
La prose baroque de Jean Ray sait configurer des atmosphères angoissantes. Mais elle surcharge le fantastique d’effets ostentatoires qui en dégradent la consistance.
- Auteur : Jean Ray
- Editeur : Espace Nord
- Genre : Nouvelles, Fantastique
- Nationalité : Belge
- Date de sortie : 28 novembre 2019
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Résumé : Publiés en 1942 et 1943 aux Auteurs Associés, Le Grand Nocturne et Les Cercles de l’épouvante amorcent une période faste pour Jean Ray,où il trouve une reconnaissance de son talent d’écrivain à part entière. D’un côté, Jean Ray tente de dire le pire, par l’excès et la violence. Il développe une esthétique de l’épouvante allant chercher plus loin que les scènes classiques de la terreur grâce à une dimension métaphysique. De l’autre, il introduit l’hésitation, le doute, l’erreur de perception qui semblent relativiser la manifestation de l’épouvante. Pour ce faire, Jean Ray mêle à l’inspiration populaire, avec ses thèmes et ses codes narratifs, des références et une manière de raconter plus littéraires, ce qui est sans doute pour une grande part dans l’originalité de son œuvre. Le Grand Nocturne et Les Cercles de l’épouvante explorent les rapports entre les mondes naturels et surnaturels. Les thèmes du fantastique – le temps, l’espace, la perturbation des catégories de la perception – y sont traités de manière extrêmement complexe. À cela s’ajoute une dimension essentielle de l’œuvre de Jean Ray : les interdits de la loi divine.
Notre avis : Les terribles années de la Seconde Guerre mondiale sont aussi celles où l’inspiration de Jean Ray se déploie à travers la publication de deux chefs-d’oeuvre romanesques : Malpertuis et La cité de l’indicible peur, ce dernier récit étant adapté quelques années plus tard par Jean-Pierre Mocky au cinéma. C’est à cette période que l’auteur publie les nouvelles qui composent ce recueil. On y retrouve les caractéristiques d’un petit théâtre de l’épouvante : l’ambiance tapageuse des cabarets portuaires se mêle aux effluves d’alcools forts, tandis que dans les lieux plus déserts (domestiques ou autres), des monstres à la consistance lovecraftienne assaillent des protagonistes médusés (commerçants, dockers, matelots, mécaniciens, officiers). On mentionnera exemplairement le Grand Nocturne dans le texte éponyme qui inaugure la première partie du livre, à la jonction du fantastique cauchemardesque façon Edgar Poe et du roman policier façon Gaston Leroux. A travers ce récit liminaire, l’illusion du passé qu’investissent les âmes mortes, convoque aussi, d’une certaine façon, l’extraordinaire nouvelle "Véra" des Contes cruels, même si la prose de Jean Ray est un peu plus baroque que celle de Villiers de L’Isle-Adam. Certaines phrases configurent toutefois des béances affreuses où s’engouffre la terreur - "La chose innommable fut sur lui, l’étouffant, l’écrasant, lui soufflant à la figure un effroyable relent de tombe" -.
Les autres histoires valent davantage par leurs atmosphères poisseuses que par leur consistance diégétique, le style un peu trop surchargé de Jean Ray, pouvant, à la longue, créer une forme de lassitude, surtout lorsqu’il leste des lieux déjà connotés d’une épouvante dont on peut configurer l’épaisseur baroque sur la toile de notre imagination : le cimetière de Marlyweck que parcourt le héros fait partie de ces espaces annulés par des événements en forme de surenchères ("je vis que l’homme de bronze serrait une formidable faux dans la main, alors que je ne lui avais vu tenir qu’un sablier").
Trop d’effets, finalement. Trop d’hommes aussi, dans ces histoires où la virilité prend des apparences assez convenues, l’alcool catalysant les gestes bravaches (jurons, cris, bourrades) autant que les visions terrifiantes.
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