Le 9 décembre 2023
De Barry Lyndon, beaucoup ont dit qu’il était visuellement splendide. C’est vrai. Mais où est la vie dans cette suite de tableaux formellement impeccables ?
- Réalisateur : Stanley Kubrick
- Acteurs : Patrick Magee, Hardy Krüger, Ryan O’Neal, Marisa Berenson, Murray Melvin, Leon Vitali
- Genre : Drame, Aventure, Film culte
- Nationalité : Américain, Britannique
- Distributeur : Warner Bros. France
- Date télé : 7 décembre 2023 22:50
- Chaîne : OCS Géants
- Date de sortie : 24 septembre 1976
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Au XVIIIe siècle en Irlande, à la mort de son père, le jeune Redmond Barry ambitionne de monter dans l’échelle sociale. Il élimine en duel son rival,un officier britannique amoureux de sa cousine mais est ensuite contraint à l’exil. Il s’engage dans l’armée britannique et part combattre sur le continent européen. Il déserte bientôt et rejoint l’armée prussienne des soldats de Frederic II afin d’échapper à la peine de mort. Envoyé en mission, il doit espionner un noble joueur, mène un double-jeu et se retrouve sous la protection de ce dernier. Introduit dans la haute société européenne, il parvient à devenir l’amant d’une riche et magnifique jeune femme, Lady Lyndon. Prenant connaissance de l’adultère, son vieil époux sombre dans la dépression et meurt de dépit. Redmond Barry épouse Lady Lyndon et devient Barry Lyndon...
Critique : Jamais la fascination que Kubrick éprouve pour l’image ne semble autant piéger son œuvre, faisant obstacle à l’existence, figeant les personnages dans de somptueux tableaux. Que vaut la maîtrise quand elle étouffe ce qui doit vivre dans le cadre, réduit à la volonté démiurgique de son créateur, comme tout ce qui devrait palpiter, cœurs d’hommes et de femmes, oiseaux, et même le poumon gibbeux de la campagne anglaise ? Evoquant ce cinéma formel et trop sûr de son talent, Baudelaire, s’il l’avait connu, aurait pu reprendre sa célèbre prosopopée, celle d’une beauté dédaigneuse : « Je suis belle ô mortels !/Comme un rêve de pierre ».
Oui, cette fois, c’est dit : Kubrick est partout, dans chaque plan, attaché à voir non pas un arbre, mais un arbre tel que l’ont peint Thomas Gainsborough où John Constable.
Les fameuses scènes où l’ombre des bougies projette celle de Georges de la Tour sont si pleines de respect pour leur glorieux inspirateur que les acteurs y évoluent avec une déférence feutrée, visiteurs discrets d’un grand musée. C’est l’existence qui se trouve alors entoilée, prise dans l’obsession de l’esthète qui ne veut plus la vie qu’à l’aune de sa transfiguration artistique. Les personnages arrêtent leur mouvement ou le retiennent, au gré des inspirations du maître projetant son livre d’art sur la pellicule : la pauvre Marisa Berenson, rendue violette dans les premières scènes, comme cyanosée par l’étranglement, ne dit mot lorsque son personnage est séduit par l’ambitieux Redmond Barry. Puis elle affecte une posture désincarnée. Sa voix lasse la prolonge d’une manière aussi horripilante que la musique extradiégétique, dont la trop grand présence clôt l’interprétation, donne le "la" de la réception.
Dans ce monde iconographique, le dialogue n’a trop souvent qu’une valeur illustrative, surtout que l’itinéraire de ce Candide devenu cynique, puis puni, d’abord jeté dans le monde comme le héros voltairien par la faute d’une forfanterie (une provocation en duel qui, croit-il, a provoqué la mort de son adversaire) n’a pas la densité ironique du récit de Thackeray, transformé par Kubrick.
En outre, la transposition à la troisième personne par une voix off volontiers proleptique (en VF, celle de Brialy) annihile toute l’ironie contenue dans l’usage du « je » narratif, sa tonalité badine, à distance des actions immorales commises par le personnage. Bref, le sarcasme intrinsèque du roman picaresque est muselé par la grandiloquence kubrickienne, qui propose bien sûr un spectacle épique, traversé de scènes réussies - surtout celles qui retrouvent les accents indignés des Sentiers de la gloire pour dénoncer la guerre -, mais finalement clôturé dans la propre fascination de ses plans géométriques. Oui, Barry Lyndon a bien mérité son titre de "film visuellement splendide". D’accord, et après ? Est-ce vraiment ce qu’on demande au cinéma ?
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.