La Croisade des Innocents - La chronique BD

Vouloir classer La Croisade des Innocents, c’est se heurter à une double difficulté : sans être historique, cette œuvre donne à voir un quotidien pauvre et rude, une religion mystique typique de l’époque, livrant un témoignage sur un événement majeur mais incompris du Moyen-Âge, comme un chroniqueur de Laon ou des Trois-Fontaines qui voudrait raconter l’impensable de 1212. Sans enjoliver, sans poétiser, mais avec un œil capable de retranscrire les émotions d’enfants et la foi transcendante d’un siècle oublié, Chloé Cruchaudet livre un album qui n’a ni vocation poétique, ni historique, ni vraiment philosophique, creusant un carrefour de nombreux genres et de toutes les volontés d’écriture. S’il est difficile de la classer, il est en revanche facile de l’estimer : excellente histoire, excellent cheminement, passant du désespoir à la passion comme une hagiographie, de la détermination brûlante au froid calcul comme un roman réaliste, cette dualité persiste et fait la force de cette croisade, aux allures de conte pour enfants, et disposant de tout le potentiel d’un drame épique, dans la lignée hugolienne.

Chloé Chruchaudet / Soleil

Le dessin n’a pas cette double disposition, car si les planches peuvent avoir de la violence en elles, les traits, les décors, les jours et les nuits qui s’écoulent ont du début à la fin cette finesse puérile, presque espiègle malgré le noir et blanc, malgré l’hiver et la mort, le difforme et l’horrible. Jusqu’au bout, on croit à un monde meilleur, à un destin, et c’est bien le dessin qui anime cette foi du lecteur, si proche et si loin des acteurs de cette croisade. La peur ressentie va dans ce sens, celle des contes d’autrefois, du mauvais homme et du froid, mais le monde en soi ne se révèle pas désespérant, sinon juste inquiétant par moments.

Chloé Chruchaudet / Soleil

Histoire d’enfants mais thème d’adulte, déroulé touchant mais dramatique, dessin glissant mais constant, tels sont les grandes caractéristiques d’une œuvre pleine, originale et surtout exceptionnellement ancrée dans les mœurs et mentalités d’une époque.