Le fou de guerre - Dino Risi - critique

Critique : Adapté d’un roman de Mario Tobino écrit en 1955, Le fou de guerre appartient à un genre assez indéfinissable, quelque part entre la comédie grinçante, énorme, grotesque, et le drame le plus noir et le plus désespéré : un grand écart auquel Dino Risi, maître du cinéma italien (Les Monstres, Parfum de femme, Le Fanfaron), nous a longtemps habitué. L’objectif, quant à lui, est clair : la satire implacable d’un système et d’une époque, la dénonciation de l’absurdité de la guerre et des dérives du fascisme. Lâcheté et corruption des officiers supérieurs, mépris des colons pour les nations qu’ils ont asservies (ici, la peuple de Libye)... La puissance du Fou de guerre repose essentiellement sur un personnage central, Oscar Pilli, interprété par Coluche, dont ce fut le dernier rôle au cinéma : celui d’un commandant de l’armée italienne psychotique, pathétique et incontrôlable, détesté de ses camarades, dont les lubies puériles (voler les lunettes de ses supérieurs, appliquer les pires sanctions disciplinaires pour des faits insignifiants, exprimer son manque affectif en dansant le tango avec les soldats) perturbent une unité entière et mettent en danger de nombreuses vies humaines.

Pathé/AMLF Distribution

Une occasion pour l’acteur de déployer une large palette de son talent, dans un vrai rôle à contre-emploi, peu après celui de Tchao Pantin. Coluche provoque d’abord le rire, un rire un peu gêné, se lançant dans un cabotinage outrancier, se compromettant dans des gags parfois scatos. Mais, la seconde d’après, il devient troublant, dérangeant, effrayant. L’humour masque toujours quelque chose de plus grave : le personnage fou de Pilli n’amuse plus du tout lorsqu’il provoque la mort d’un soldat blessé, durant une opération chirugicale qui tourne à la boucherie, ou bien lorsqu’il s’élance seul, aveuglé par ses désirs de grandeur, face à une escadrille ennemie au grand complet. Le visage qu’il incarne, celui de l’autorité (confiée à n’importe qui, exercée n’importe comment), finit par donner le frisson.
Risi est armé d’un humour féroce qui menace toujours de déborder les limites, de repousser les frontières de l’acceptable, ce qui lui permet de porter un regard toujours distancié et critique sur la connerie de la guerre. Son intérêt pour la psychiatrie, qu’il étudia étant jeune, est aussi exprimé ici (l’auteur du roman qu’il adapte était psychiatre, le personnage principal du film l’est également), instrument supplémentaire de sa dénonciation. Le cinéaste italien, à travers la folie de Pilli, n’en finit pas de montrer que tout conflit broie les individus et en fait ressortir la part la plus sombre, la plus sauvage. Le personnage interprété par Coluche en devient étrangement touchant, le temps d’une séquence en fin de métrage où on le retrouve destitué, un peu perdu, reconverti en mari attentionné d’une énorme mama. Bien que la charge de Dino Risi et ses débordements grotesques ne soient pas vraiment légers, le maître italien aura tout de même su brosser le portrait mémorable et glaçant d’un fou de guerre et d’une guerre de fous.