Le 25 février 2017
Un hommage rigoureux, aussi palpitant qu’intelligent.
- Réalisateur : Fritz Lang
- Acteurs : Peter van Eyck , Wolfgang Preiss, Gert Fröbe, Dawn Addams, Werner Peters
- Genre : Thriller, Noir et blanc
- Nationalité : Français, Allemand, Italien
- Durée : 1h45mn
- Reprise: 1er mars 2017
- Titre original : Die Tausend Augen des Dr. Mabuse
- Date de sortie : 20 juin 1961
- Plus d'informations : Histoire du Polar au cinéma
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Résumé : Un journaliste est tué dans sa voiture sur la route de son travail. L’inspecteur Kras apprend de son informateur Cornelius, diseur de bonne aventure, qu’il voit le crime mais pas son coupable. Pendant ce temps, Henry Travers, riche industriel américain, s’installe à l’hôtel Luxor, aménagé par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale pour espionner les chambres. Il rencontre Marion Menil qui est menacée par son mari. Hieronymus B. Mistelzweig, supposé représentant, qui est également logé à l’hôtel, semble toujours sur ses gardes. Ces différents personnages devront s’unir pour éclaircir l’apparent retour du Dr Mabuse, disparu depuis longtemps...
Notre avis : Dernier film de Fritz Lang, ce Mabuse renoue avec la première période allemande du cinéaste, comme une boucle, avec de nombreuses références aux anciens sérials que sa femme, Thea von Harbou, imaginait. Et, au premier niveau, on a bien un sérial, efficace, rigoureux, qui égrène les motifs habituels du genre avec un sérieux apparent : fausses identités, rebondissements, passage secret, machines improbables (du fusil à aiguilles à la porte télécommandée au bruit futuriste), complots … Il y a là comme un hommage et un retour sur un passé déjà lointain en 1960. D’autant que Lang se cite lui-même, directement en nommant le Dr et en faisant de lui le père des criminels, indirectement par des clins d’œil, notamment les ressemblances thématiques (l’hypnose, par exemple) et les effets de mise en scène. Avouons-le, on se laisse piéger avec un plaisir certain par les fausses pistes et les péripéties ; ce plaisir premier n’est jamais mis en cause par Lang, qui refuse le second degré, la distance ironique. Impeccable de maîtrise, le sérial est au contraire réduit à son essentiel, voire à son essence : fidèle à son esthétique habituelle, le réalisateur dégraisse, coupe, ôte toute fioriture ; le montage en particulier supprime les temps morts en une épure jouissive. Ainsi des déplacements, qui disparaissent ; on voit ici l’héritage des films noirs américains, mais aussi cette patte langienne, dont le cinéaste parlait dans son dialogue avec Godard, privilégiant l’efficacité pure.
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Trente ans plus tard, le réalisateur ne peut évidemment pas reprendre tel quel son personnage, d’autant que Hitler est passé par là, réduisant l’idée de manipulateur omniscient à un présage funeste. Néanmoins le Docteur Jordan endosse in fine ce triste costume de savant fou, avec la bombe atomique en danger modernisé. Ce n’est pourtant pas à notre sens l’originalité première de cette réécriture : plus intéressant, le thème du voyeurisme et de l’espionnage généralisé contamine peu à peu le film. L’hôtel devient la réalisation du panoptique de Bentham par l’installation de caméras, redoublée par le miroir sans tain, le tout au service d’une volonté de contrôle mais aussi de la réalisation de pulsions scopiques et sexuelles. Lang imagine un microcosme, représentant bien sûr le monde, dans lequel la vie intime n’existe plus, une société de la transparence globale, de l’espionnage intégral. Les moyens techniques y sont au service d’un pouvoir occulte forcément néfaste – diabolique, d’après le titre français, mais on peut préférer les mille yeux de l’original.
Plus que tout cependant, ce qui réjouit le spectateur, c’est bien sûr la mise en scène de Lang, qui n’avait rien perdu de sa rigueur. Le soin apporté aux cadrages, très classique, s’accompagne d’un jeu récurrent avec les travellings qui partent d’un gros plan et qui reculent pour embrasser la totalité des personnages ; les recadrages y sont incessants, d’une forme impeccable. Rigoureux aussi le montage, qui unifie les séquences par un système d’annonce : ce qui est dit en fin de séquence est montré en début de séquence suivante ; ainsi, si quelqu’un évoque le dossier du Dr Mabuse, il apparaît dans le plan suivant. Amusant, ce procédé sert également à densifier le film, éliminant les détails inutiles. De même quand le héros propose à Marion d’aller danser, il suffit qu’il évoque la musique pour qu’on l’entende. Mais Lang n’est jamais tout à fait dupe : il introduit à l’intérieur de ce système sa propre parodie, et quand le faux assureur dit qu’il fait un temps à ne pas mettre le nez dehors, même pour un chien, on voit le chien d’aveugle devant la pluie qui tombe.
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Soyons honnête : par rapport aux chef-d’œuvres du cinéaste, Le diabolique docteur Mabuse est légèrement décevant ; il n’a pas l’intelligence et la beauté de M le maudit, de Man Hunt ou des Contrebandiers de Moonfleet, pour ne citer qu’eux. Mais, outre ses qualités propres, indéniables, le film est émouvant en ce que, dernier de son auteur, il revient sur une carrière monumentale pour en tirer une conclusion soignée et, in fine, émouvante.
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