Le 25 décembre 2018
En adaptant Simenon, Decoin signe l’un de ses meilleurs films, une étude de caractères très pessimiste.
- Réalisateur : Henri Decoin
- Acteurs : Danielle Darrieux, Jean Gabin, Gabrielle Dorziat, Jacques Castelot, Claude Génia
- Genre : Drame, Thriller, Noir et blanc
- Nationalité : Français
- Distributeur : Alliance Générale de Distribution Cinématographique (AGDC)
- Durée : 1h44mn
- Box-office : 1 249 698 entrées France / 343 328 Paris Périphérie
- Date de sortie : 13 février 1952
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Résumé : François Donge, riche industriel provincial, a épousé Élisabeth d’Onneville surnommée Bébé. Sentimentalement déçue, incomprise, Bébé empoisonne un jour son mari. François, sur son lit de mort, revoit son passe au cours de sa longue agonie.
Critique : Troisième adaptation de Simenon par Decoin, après Les inconnus dans la maison et L’homme de Londres, La vérité sur Bébé Donge ne rencontra pas de grand succès. Sans doute était-il trop noir, ou sa construction en flash-back trop complexe. Peut-être même que les rôles à contre-emploi de Gabin et Darrieux ont contribué à la désaffection relative du film. Pourtant, à le revoir aujourd’hui, et malgré quelques conventions désuètes (le flou qui introduit le flash-back, par exemple), on est frappé par la rigueur d’un métrage qui dissèque avec une certaine élégance la dégradation d’un couple dans un monde bourgeois d’apparences. Comment Bébé, jeune femme allègre et amoureuse, finit par empoisonner son mari, voilà ce qui tend le court roman de Simenon comme le film de Decoin : commencé par des questions (« qu’est-ce qu’un couple, François ? ») qui traduisent un appétit de vivre et de partager, le mariage se heurte à une incommunicabilité qui repose sur un jeu de rôle : Bébé est trop futile, sa robe n’est pas adaptée, elle descend trop tard à la traditionnelle soirée, elle n’entre pas dans un moule préétabli. Alors que son mari, à l’arrogance grossière, y est parfaitement à l’aise : son égoïsme correspond impeccablement à un monde fait pour lui, ce monde d’affaires et de maîtresses où l’épouse doit se taire et subir. Dans la description de cette société étouffante symbolisée par le portrait du père dont elle tente de se débarrasser ou par la marieuse qui répète inlassablement « le bonheur vous va bien » (ironiquement, elle terminera avec : « le malheur vous va bien »), Decoin excelle par la multiplication de détails et de répétitions comme par une réalisation sobre, presque dépouillée. Il faut dire que Darrieux est extraordinaire, aussi bien en jeune fille espiègle qu’en femme devenue insensible.
Car, avec l’empoisonnement inexplicable pour tous, sauf pour François, la situation s’inverse : c’est lui qui devient dépendant d’elle, lui qui proclame son amour, lui qui pose des questions (« Qu’est-ce que c’est l’espoir ? »). Mais il est trop tard : en acceptant de renoncer à ses idéaux, Bébé s’est fermée ; sa mère lui dit qu’elle est « morte », et elle-même, au moment de faire un enfant, juge que « c’est l’acte suivant, voilà tout ». Elle rentre enfin dans son rôle, mais c’est au prix d’une déshumanisation que les robes noires représentent bien : avant de perdre son mari, elle est en deuil d’elle-même.
Le constat est cruel puisque le couple formé par le frère et la sœur des protagonistes, lui, semble réussi, mais c’est un mariage fade, arrangé, dont l’absence de passion assure la pérennité. Pas d’espoir donc pour ceux qui veulent vivre (c’est ce que désire François, mais trop tard, à contre-temps) et que la société lamine ou tue. Dans le geste de Bébé, il y a tout le désespoir qui lui fait rejoindre Thérèse Desqueyroux ou Emma Bovary, ces grandes héroïnes de l’empoisonnement. Si Decoin évite le pathos, il fait de son œuvre un croisement du film noir (la structure en flash-back, la voix off, le meurtre) et de la tragédie contemporaine où tout est écrit dès le début. Derrière la froideur apparente, La vérité sur Bébé Donge est une condamnation incandescente en même temps qu’un portrait saisissant que le beau dernier plan assombrit encore.
Disponible en DVD et blu-ray chez Gaumont.
– Sortie DVD & Blu-ray : 18 février 2018
- Editeur vidéo : Gaumont vidéo. Tous droits réservés
- © 1954 Gaumont. Tous droits réservés.
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