Cow boy au bord de la crise de nerfs
Le 13 octobre 2015
Injustement reléguée au rang d’œuvre secondaire, cette histoire de cow boy torturé en proie au retour du refoulé est peut-être le sommet de la carrière de Walsh, porté par l’interprétation grandiose de Robert Mitchum.
- Réalisateur : Raoul Walsh
- Acteurs : Robert Mitchum, Judith Anderson, Dean Jagger, Alan Hale, Harry Carey Jr.
- Genre : Drame, Thriller, Western, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Durée : 1h41mn
- Titre original : Pursued
- Date de sortie : 13 octobre 1948
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– Année de production : 1947
– Reprise : le 14 octobre 2015
Injustement reléguée au rang d’œuvre secondaire, cette histoire de cow boy torturé en proie au retour du refoulé est peut-être le sommet de la carrière de Walsh, porté par l’interprétation grandiose de Robert Mitchum.
L’argument : Nouveau Mexique, fin du XIXème siècle. Réfugié dans un vieux ranch délabré, Jeb Rand cherche à échapper à un groupe de cavaliers souhaitant sa mort. Le lieu qu’il a choisi comme refuge n’a rien d’anodin pour lui : c’est là qu’il a été témoin pendant son enfance d’un événement traumatique qu’il ne se remémore que par bribes impénétrables. Son seul souvenir, hantise énigmatique : une vision de bottes et d’éperons allant et venant sur un parquet de bois à hauteur de visage. Avec Thorley, une femme venue à cheval lui porter de la nourriture, Jeb tente de retracer son passé. Mais aura-t-il la force d’affronter ses démons et ainsi percer le mystère de son destin ?
Notre avis : Contrairement à John Ford, l’autre Irlandais d’Hollywood à l’origine de la légende du western, Raoul Walsh se distingue par un caractère déraisonnable, presque excessif. La recette du cinéaste : un mélange flottant d’impétuosité, de désinvolture thématique et d’antiformalisme radical. Cocktail instable permettant, sans stylisation apparente aucune, de dévoiler l’essence et la matière même des plans. Une logique spontanée échappant, par opposition à ses contemporains Ford, Hawks, Lang ou encore Hitchcock, à toute définition. Injustement tombé dans l’oubli, et ce en dépit d’une maestria hors norme, La Vallée de la Peur fait à ce titre office de parangon dans la carrière de Walsh. Comme dans un film noir - le film partage plus de points communs avec ce genre que celui du western, qui n’est finalement qu’une trame -, les personnages de La Vallée de la Peur sont comme des étrangers solitaires préférant fuir leurs semblables et s’isoler. Une fuite qui s’explique non pas par une volonté de se retrouver soi-même - récurrence du cinéma classique - mais par un désir de se perdre tout entier. Plus encore que dans La Griffe du Passé, avec le même Robert Michum, c’est en effet la dimension psychanalytique et quasi biblique qui prévaut : vengeance enfouie, rivalité entre deux frères et surtout retour du refoulé. Véritable OVNI parmi les westerns de l’époque, dont les trajectoires étaient alors largement balisées, La Vallée de la Peur emprunte en 1946 des chemins de traverse auxquels le cinéma traditionnel est peu coutumier. Le territoire de l’œuvre est sans limite, tout comme son ambition.
À travers ce périple atypique, l’étendue de désert et de roche qui s’offre au regard du spectateur n’est non pas à penser en tant qu’espace à parcourir physiquement et à conquérir, mais comme le tréfonds obscur d’une âme où s’égarer. Loin du classique duel au revolver, le voyage proposé consiste à explorer le cœur d’un homme, quitte à se perdre dans l’infini des cieux. Au caractère tangible du récit - l’histoire de la haine de Grant Callum pour la famille des Rand, plus dure que la roche -, le film adjoint en filigrane comme une impalpable histoire de fantômes. Dans ce contexte, Jeb (Robert Mitchum), anti-héros par excellence, doit non seulement s’absoudre de l’hostilité bien réelle de ses poursuivants, mais aussi venir à bout de ses propres cauchemars. Un programme certes ambitieux mais porté par une mise en scène à sa mesure. Outre les partitions au cordeau du compositeur Max Steiner, ténébreuses et majestueuses, sans oublier le regard insondable de Mitchum, comme piégé par l’énigme de son destin, c’est la photographie de James Wong Howe qui fait la sophistication de ce chef d’œuvre absolu. Difficile en effet de ne pas se perdre dans les ciels noirs, rochers et intérieurs tout juste éclairés captés par le chef opérateur. De même, comment ignorer la modernité de cette œuvre, à la hauteur des plus grands Ford, et ses innombrables scènes d’anthologie ? Certains cinéastes, toutefois, s’en souviendront : Tim Burton rendra un bel hommage au film dans Sleepy Hollow - autre œuvre psychanalytique majeure - à travers la séquence de l’enfant caché sous le plancher et celle du retour d’Ichabod Crane sur les ruines de sa maison d’enfance. Mieux : le cavalier sans tête sonnera comme une évocation des cavaliers noirs à la poursuite de Jeb Rand. Métaphore d’exception d’un passé qui ne passe pas et dont l’exorcisation se fait impérieuse.
- © United States Pictures / Warner Bros.
Dommage que la trajectoire de La Vallée de la Peur, jamais vraiment reconnu à sa juste valeur dans l’histoire du cinéma, s’apparente à ce point à celle du film maudit. Un fatum surprenant au regard de sa densité exceptionnelle et de son scénario de génie signé Niven Busch (Duel au soleil, Le facteur sonne toujours deux fois). Gageons que des éditeurs prendront prochainement la peine de se pencher sur la question, comme l’a dernièrement fait Wild Side avec la Zone 2 de Gun Crazy (Joseph Lewis, 1950). Car une chose est sûre : ce western hybride, avec ses salles de jeux, ses ranchs, ses falaises et ses chevauchées spectrales, est aussi fondamental que La Nuit du Chasseur (Charles Laughton, 1955), et renvoie avec la même force aux mythes originels. Un incontournable.
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