Le 7 janvier 2022
L’un des très beaux films de Walsh, réflexion amère sur la liberté, le poids des souvenirs et le racisme.
- Réalisateur : Raoul Walsh
- Acteurs : Clark Gable, Yvonne De Carlo, Sidney Poitier, Rex Reason, Efrem Zimbalist Jr.
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Warner Bros. France
- Editeur vidéo : Warner Home Video
- Durée : 2h05mn
- Box-office : 1 279 129 entrées France / 247 018 P.P.
- Titre original : Band of Angels
- Date de sortie : 1er janvier 1958
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Résumé : Alors que les Noirs américains sont toujours sous la coupe de planteurs esclavagistes des États du Sud, Amantha Starr découvre, à la mort de son père, qu’elle a du sang noir dans les veines. Les terres de son père tombent aux mains de l’affairiste Calloway et Amantha est emmenée comme esclave. Elle est finalement vendue à un riche planteur, Hamish Bond, qui va la considérer comme une amie et non comme une esclave. La guerre de Sécession éclate. Hamish offre sa liberté à Amantha, mais la jeune femme préfère rester auprès de lui. Traqués par les Yankees, ils s’enfuient pour aller ailleurs vivre heureux.
Critique : C’est avec ce film que les cinéphiles français célébrèrent Walsh et il garde encore aujourd’hui, plus sans doute que son « rival » prestigieux Autant en emporte le vent, un statut particulier que nombre de visions ne font que confirmer. En adaptant le roman de Robert Penn Warren, la Warner savait que la comparaison avec le métrage de Fleming serait inévitable : même contexte historique, même histoire d’amour contrarié par la guerre, même héroïne revêche, même compositeur et, cerise sur le gâteau, même interprète masculin, le vieillissant Clark Gable. Et pourtant les deux ne se ressemblent que superficiellement, sans doute en grande partie grâce au tempérament de Walsh, peu enclin à se laisser déborder par le sentimentalisme et le lyrisme ; il va vite, au plus pressé dans cette œuvre de deux heures dont les péripéties s’enchaînent à grands coups d’ellipses. Il ne lui faut ainsi qu’un quart d’heure pour régler le sort d’Amantha, qui ignorait qu’elle était la fille d’une esclave et que son père en mourant ne pouvait empêcher d’être vendue. Le reste virevolte à une cadence similaire, ou presque : son rachat par Bond, dont elle finit par tomber amoureuse, son départ quand elle apprend son lourd secret, la guerre, les retrouvailles. À quoi s’ajoutent les personnages secondaires : la fidèle Michèle, le rancunier Rau-Ru, des propriétaires fourbes, des soldats retors, et même un pasteur. Autant dire que le spectateur ne risque pas de s’endormir face à une avalanche de rebondissements qui ne laisse cependant que peu de place à la violence : la séquence du duel avorté symbolise assez la mise à distance du spectaculaire.
Il y a plusieurs manières d’aborder L’esclave libre : on peut saluer la mise en scène de Walsh, précise et allègre, jamais complaisante, qui joue de moyens limités (on est très loin du faste d’ Autant en emporte le vent) pour se centrer sur l’essentiel. S’il se tire avec les honneurs de rares morceaux de bravoure comme l’incendie des plantations, c’est surtout dans les séquences de tension que le célèbre borgne est à son meilleur : ainsi de la confrontation finale entre Bond et Rau-Ru, remarquable de sobriété et d’efficacité.
Mais surtout, sa réalisation laisse place à toute l’ambiguïté d’une réflexion sur le racisme et la liberté ; tous les personnage sont en effet prisonniers : Amantha de sa condition, Bond de son passé, Rau-Ru de la bonté de son maître, Michèle de ses sentiments à sens unique, le pasteur de son aveuglement idéologique ; d’où la récurrence d’un questionnement explicite sur l’impossibilité de la liberté. Pareillement les scénaristes déploient un véritable arc-en-ciel de variations sur le racisme : qu’il soit brutal, méprisant ou condescendant, c’est bien le même sentiment de supériorité qui prévaut à l’époque, et pas seulement à l’époque : comme un pied de nez, Bond assure qu’il faudra une centaine d’années pour une vraie émancipation. Un tel propos en 1957 ne manque pas de sel…
L’ audace du film se mesure également à sa vision du désir sexuel : c’est une dame qui provoque le pasteur, c’est un rustre bien décidé à violer Amantha, c’est encore le fougueux baiser entre cette dernière et Bond dont la violence est représentée par le vent tempétueux qui ouvre la fenêtre. D’une manière générale, le monde décrit par L’esclave libre est régi par une sexualité inextinguible même quand elle prend les apparences de la civilisation. Moteur de la narration, elle est aussi au cœur d’un motif souterrain du film, le secret. Chacun dissimule, que ce soit une pulsion ou un fait de son passé, et, en une séquence, ce secret est révélé, par le personnage ou un tiers : le père d’Amantha était un noceur amateur de prostituées, le pasteur un hypocrite prêt au chantage pour coucher avec l’héroïne. Mais c’est Bond qui doit vivre avec le plus lourd : son aveu, en une scène remarquable, éclaire sa lassitude et son indifférence. Magnifiquement interprété par Gable, il traverse le film comme un homme désabusé qui apprend à revivre et à s’accepter. Le charme magnétique de l’acteur fait merveille dans chaque scène, si bien que quand il disparaît le métrage s’enlise en peu. Mais c’est un péché véniel pour une œuvre puissante, limpide et profonde, qui ne cesse de fasciner.
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