En décolleté ? Dans la nuit froide ?
Le 24 février 2011
La plus surprenante des divas italiennes, Pina Menichelli , dans un monument de décadentisme transgressif superbement mis en scène par le réalisateur de Cabiria .
- Réalisateur : Giovanni Pastrone
- Acteurs : Pina Menichelli, Alberto Nepoti, Febo Mari, Valentina Frascaroli , Ernesto Vaser
- Genre : Drame, Film muet
- Nationalité : Italien
- Durée : 1h20mn
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– Sortie en Italie : 9 novembre 1916
La plus surprenante des divas italiennes, Pina Menichelli , dans un monument de décadentisme transgressif superbement mis en scène par le réalisateur de Cabiria.
L’argument :A Paris, l’ambassadeur Giorgio La Ferlita rencontre lors d’une soirée la comtesse russe Natka. Le carnet de bal de la fascinante jeune femme étant complet, il n’hésite pas à rayer un nom de la liste et à se battre en duel pour elle.
Ne cessant de l’encourager pour le repousser aussitôt après, la comtesse finit par lui raconter son passé. Ayant rejoint son amant Dolski en Sibérie, où il était déporté, elle l’avait trouvé au bras d’une autre femme. Ne pouvant obtenir son pardon l’homme s’était suicidé sous ses yeux.
Après son récit la comtesse disparaît et La Ferlita épouse la riche Erminia. Il obtient néanmoins un rendez-vous et retrouve Natka, gravement malade, dans un hôtel de luxe qui prend feu après un court-circuit. Ils réussissent à échapper aux flammes pendant que le mari jaloux, qui les avait enfermés, périt dans l’incendie.
Notre avis : On considère généralement que Tigre reale (Tigresse royale) forme une espèce de diptyque avec une autre production prestigieuse de l’Itala Film de Turin, Il fuoco, sorti quelques mois plus tôt, en avril 1916. Ce drame symboliste en trois actes avait subi des coupures imposées par la censure et le préfet d’Arezzo avait ordonné sa séquestration, provoquant un tollé dans la presse.
La publicité faite autour des vicissitudes du film avaient sans doute contribué à son énorme succès qui permit à Pina Menichelli de prendre sa place aux côtés des dive déjà consacrées telles que Lyda Borelli (Rapsodia satanica) ou Francesca Bertini.
De ces trois plus illustres spécimens du genre (car il y en eu bien d’autres) elle est certainement la plus fatale et la plus transgressive. Ici son personnage de comtesse russe phtisique brûle sa vie au feu de la passion, n’hésitant pas, par exemple, à décupler la dose de cachets pour dilapider en une heure intense ce qui lui reste de force vitale ou prête à sortir sur un coup de tête en décolleté, dans la nuit froide (Volete suicidarvi ? lui lance Giorgio pour l’arrêter dans son élan). Le sublime est son élément naturel et elle n’a que mépris pour ceux qui vivent dans le compromis : son fantoche de mari, l’amant (Febo Mari) qui, après l’avoir trompée, fait, tel un chien perdu - un cane perduto le siège de la cabane de paysan où elle s’est réfugiée et auquel, suivant une inspiration subite (pagarlo !) elle jette tous les billets de banque qu’elle a sur elle.
Le naturel est banni et le jeu de l’actrice se maintient presque en permanence dans le registre de l’excès, voire du grotesque : dans une des scènes les plus ahurissantes du film, assise en tenue de soirée dans sa luxueuse automobile, un bouquet dans les bras, elle se met à croquer avidement les fleurs pendant que dans la vitre défilent les lumières de la ville. Son visage est un masque changeant, ses gestes nerveux obéissent à une chorégraphie qui allie étirements, convulsions, poses langoureuses et moments de catalepsie. Il y a sans doute là une part non négligeable d’auto-parodie (d’ailleurs Menichelli, consciente de ses dons comiques, termina sa carrière cinématographique en 1925 avec une adaptation d’Occupe-toi d’Amélie de Feydeau). Mais le ridicule est vite balayé par la fascination face à cette créature monstrueuse et imprévisible qui mime à l’écran les affects les plus exacerbés.
- Pina Menichelli dans Tigre reale (1916)
La mise en scène de Pastrone (qui signe Piero Fosco) est d’une suprème élégance. Les mouvements de caméra sur rails (déjà présents dans Cabiria ) exécutent une espèce de danse voluptueuse autour des acteurs, découvrant les somptueux décors. La scène de l’opéra est particulièrement saisissante : on a l’impression que Natka, dans sa loge au premier plan, se déplace de la scène à la salle.
Segundo de Chomón, utilisant une superbe maquette, réalise de merveilleux effets spéciaux pour la scène finale de l’incendie de l’Odéon théâtre . Il signe aussi (assisté de Giovanni Tomatis) une photo splendide rehaussée de couleurs (orange, vert, bleu) qui fait baigner tout le film dans une atmosphère de luxe et de fébrilité décadente.
Car si le script est inspiré d’un roman de Verga (de 1875), c’est clairement dans l’univers vénéneux de d’Annunzio que nous plonge cette Tigresse royale aux effluves capiteux et nullement inoffensifs.
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