Le 16 octobre 2016
- Réalisateurs : David Lynch - Álex de la Iglesia
- Festival : Festival International du Film de La Roche-sur-Yon 2016
Une troisième journée au festival du film de La Roche-sur-Yon, cette fois en compagnie de David Lynch et Frank Zappa, auxquels étaient dédiés deux documentaires fleuve. Et en guise de bouqet final une radiographie délirante du monde de la télévision signée Alex de la Iglesia.
La troisième et dernière journée d’aVoir-aLire au festival du film de La Roche-sur-Yon fut l’occasion de réunir quelques clés pour percer à jour les mondes tortueux de David Lynch et Frank Zappa. Tandis que Problemski hotel et Mi gran noche révélaient respectivement l’ingérence de l’Europe devant le purgatoire vécu par les réfugiés, et les dérives de la télévision grand public.
Problemski Hotel, de David Riche - compétition internationale
Imaginons une ancienne banque située à Bruxelles, aujourd’hui désaffectée, au sein de laquelle évoluerait - c’est là tout l’enjeu critique - tout un microcosme de réfugiés ayant quitté leur pays par la force des choses. Protagoniste clé de ce jeu de Jenga, Bipul évolue au centre d’un dispositif kafkaïen dont il se trouve être le récipiendaire et le régulateur. Sa nationalité, son âge, sa profession ? Cet homme polyglotte les a oubliés, et c’est pour cette raison qu’il ne peut être expulsé, condamné à errer tel un Jésus aidant les réfugiés provenant de tous les horizons. C’est à l’intérieur de ce système où des hommes transportent inlassablement un sapin de Noël trop grand pour un événement qui n’a plus aucun sens pour eux que David Riche articule sa semonce. L’on pourrait croire que le cinéaste joue ici avec une thématique en plein dans l’actualité, mais il n’en est rien : le texte ayant inspiré le scénario avait été publié bien avant les bouleversements que traverse aujourd’hui l’Europe, victime de ses propres erreurs et incapable d’apporter une solution humaine et viable. À noter que l’auteur du livre adapté ici, Dimitri Verhulst, avait également donné lieu au film La merditude des choses, signé Felix Van Groeningen (Belgica). Qu’il s’agisse de mise en scène ou d’articulation scénaristique, Problemski Hotel réussit sur de nombreux tableaux. Par débordements poétiques plus que par une démonstration terre-à-terre, le film pointe l’ingérence de notre société et tente de déjouer note regard vicié par les médias. Une belle réussite.
The Challenge, de Yuri Ancarani - section Nouvelles Vagues
De quoi est-il question dans The Challenge, de donner à ressentir un désert dont les aspérités naturelles finiraient peu à peu par être gommées par l’hypermondialisation ? Et/Ou d’illustrer le dénuement - encore un désert - d’un mode de vie tout entier façonné par une quête infinie de puissance ? Yuri Ancarani, l’auteur italien du documentaire, choisit à dessein de ne pas baliser son film pour laisser les lectures en suspens. Lorsque ce dernier place sa caméra dans la Lamborghini d’un cheikh pour le suivre à travers le désert aux côtés d’une panthère, l’enjeu ne se situe non pas dans la critique mais dans la compréhension et donc dans l’interrogation. Dans ce désert jalonné exclusivement par les hommes, chacun semble chercher à se déifier : au travers de véhicules tout-terrain rutilants, via la projection par le biais de faucons sacrés, signe de puissance et de virilité. Si les tableaux d’Ancarani - parfois proches de la photo des documentaires de Seidl - suscitent presque l’ennui de par leur durée un tantinet exagérée, le dispositif théorique touche à son but.
David Lynch : the art Life, de Jon Nguyen, Olivia Neergaard-Holm et Rick Barnes - section Passé/Présent
Les origines : en 2004, Jon Nguyen et sa bande ont contacté l’assistant qui avait travaillé avec Lynch sur Mulholland Drive pour approcher le réalisateur et lui soumettre l’idée d’un documentaire sur sa carrière. Le collaborateur lui indiqua gentiment que c’était peine perdue avec quelqu’un d’aussi secret que le papa d’Eraserhead. Mais à la surprise générale, le cinéaste accepta. Des premières prises furent tournées par Jon Nguyen, mais Lynch restait mutique fumant ses cigarettes à l’affilée, vsiblement peu enclin à parler. Cette démarche permit à l’équipe de David Lynch : the art life de comprendre de quoi serait fait en définitive leur documentaire, en appréhendant au plus près le quotidien de l’artiste. En 2012, Nguyen prend de nouveau contact avec Lynch pour reprendre le cours du film. La femme de Lynch est alors enceinte, et les réalisateurs du documentaires en profitent pour suggérer au cinéaste, alors tout de même âgé de près de 70 ans, de s’exprimer face caméra pour laisser un témoignage de son existence à sa fille à naître. Manière de lui suggérer que le film serait une opportunité unique. S’ensuivent près de 30 heures d’entretien réparties sur deux ans et demi, matière première - avec les images mutiques tournées 8 ans avant - du montage final de David Lynch : the art life.
Véritable boîte de Pandore du cinéma contemporain, la trajectoire de David Lynch - et sa vision d’artiste - demeure une énigme. Comme le cinéaste refuse de s’exprimer sur ses motivations les plus profondes, Jon Nguyen et l’équipe à l’origine de David Lynch : the art Life ont opté pour un angle sur la tangente : le laisser parler de son enfance et des débuts de l’émergence de ses velléités pour la peinture afin de glaner quelques indices pour tenter de résoudre son mystère. Et quel coup de génie ! À noter que c’est la première fois que l’artiste accepte l’idée d’un documentaire sur lui, l’âge aidant. Avec en voix off David relatant ses souvenirs et à l’image tout un montage inouï de ses œuvres plastiques en guise d’illustration, la masse d’informations à emmagasiner pour le spectateur est colossale. L’on devine notamment par le biais du pâté de maisons parfait qu’il évoque au sujet de son enfance - un monde total, selon lui, mais fissuré par l’apparition de l’étrange Mr. Smith (l’embryon de Bob ?) dont il ne parvient pas à parler clairement - comment lui sont venus à l’esprit les Blue Velvet et autres Twin Peaks : fire walks with me (toutes deux des œuvres dont des décors idylliques cachent une réalité monstrueuse). De même, les mauvaises fréquentations évoquées par Lynch illustrent toute son œuvre, sans oublier l’inquiétante femme nue faisant irruption dans la nuit. Il serait fastidieux de passer en revue tous les détails du documentaire permettant de mieux comprendre les terrains d’expérimentation du cinéaste. Néanmoins, partons du principe que ce voyage au travers son enfance, son adolescence et son passage à l’âge adulte, porte en lui de nombreuses marques présentes dans sa filmographie. De quoi contenter les aficionados de l’artiste, tout en comblant les cinéphiles sensibles au montage - chaque plan ou presque donnant à voir des œuvres conçues par Lynch. Deux références majeures sont à retenir, parmi d’autres, dans cette plongée dans l’intime : un livre de John Henry qui l’amena à faire de sa vie une quête artistique - "the art life" -, et une affinité envers Oskar Kokoschka - ce qui ne constitue néanmoins pas une surprise. Sans dénouer le labyrinthe qu’est la trajectoire de Lynch, voilà un bien habile documentaire, autant par son sujet que par sa mise en scène.
Eat that question : Frank Zappa in his own words, de Thorsten Schütte - Séances spéciales
Personnage le plus iconoclaste de l’histoire du rock et de la musique contemporaine, génie incompris ou communicant hors pair, Frank Zappa divisait davantage le public qu’il ne le réunissait. C’est cette dimension de trublion touche-à-tout, défenseur insatiable des libertés et dénonciateur des faux-semblants qui constitue le cœur du documentaire Eat that question : Frank Zappa in his own words. Huit ans durant, Thorsten Schütte a épluché les archives vidéo du compositeur-interprète-chef d’orchestre pour ne conserver que ses apparitions les plus mémorables. Frank Zappa s’adresse donc à nous en ses propres mots, et non plus par le biais de la diabolisation des médias. De quoi démontrer si tant est qu’il en soit nécessaire à quel point Zappa semblait toujours avoir de l’avance sur son temps, et pas seulement pour son avant-gardisme forcené, du classique à l’électronique en passant par le contemporain et le rock. Très vite devenu autoproducteur des décennies avant que les musiciens ne passent le pas, premier à tourner un film en vidéo et à désentrelacer le flux pour en faire un film 35 mm - dans le cadre de son oeuvre 200 Motels -, il inspira des générations d’auteurs. Autodidacte d’une liberté totale, l’homme savait aussi bien jongler avec les mots que les notes. Comme si sa volonté indéfectible de créer un trait d’union entre Varèse et Stravinski n’en passait pas seulement par la musique, mais également par le langage. Même pour quelqu’un n’appréciant pas forcément l’œuvre titanesque du musicien, le documentaire de Thorsten Schütte rappelle à quel point il s’agissait aussi d’un personnage crucial pour rappeler l’Amérique à ses fausses certitudes. Ce véritable Gremlins aura en effet toute son existence su où mettre le doigt pour faire sauter la couture trop fragile du rêve américain. L’on gardera longtemps en mémoire sa verve face au Sénat ou encore sa manière de ridiculiser les speen-doctors pro-Reagan, entre autres. Eat that question : Frank Zappa in his own words est déjà un incontournable.
Mi gran noche, de Alex de la Iglesia - section Variété
Entre plans-séquences hitchcocko-DePalmiens - on sentirait presque dans les mouvements d’appareil l’emphase de Snake Eyes, très inspiré de La Corde - et burlesque, Mi gran noche tisse une critique caustique de la télévision et de sa rhétorique du faux. Mais ce pamphlet doux-amer brassant aussi bien Liberace que Carrie dissimule une nostalgie et un amour latent pour pour le kitsch. Tout en dénonçant les méthodes de production toujours plus inhumaines des chaînes grand public, la lobotomie et la paupérisation qu’elles induisent, Alex de la Iglesia prend aussi un malin plaisir à mettre en scène les rebuts de la musique populaire. Cette déconstruction du point zéro du divertissement se présente comme un huis-clos prenant place le temps du tournage d’un programme destiné aux téléspectateurs le soir du nouvel-an. Outre une atmosphère cathartique propice aux purgations des figurants du plateau - la dévoration de l’autre et de soi-même est suggérée -, le scénario entrelace le destin de protagonistes éparpillés aux abords du studio. De quoi créer une sorte de film choral. Les excès du cinéaste ibérique sont comme toujours de la partie, jusqu’à friser parfois dangereusement le grand-guignol - le sosie espagnol de Liberace est filmé comme Dark Vador, son fils illégitime comme un Luke de pacotille. Cependant, même dans son final calqué notamment sur l’introduction d’Indiana Jones et le temple maudit, Mi gran noche garde le cap. En découle un objet insolite aux frontières du pur divertissement et de la diatribe.
Pour revivre les premiers moments de la septième édition du festival international de la Roche-sur-Yon, c’est par ici :
Festival du film de La Roche-sur-Yon, part 1 : De Palma, Bonello... fétichistes ;
Festival du film de La Roche-sur-Yon, part 2 : Kelly Reichardt et les autres....
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