La religieuse - la critique du film

Critique : Comment innover après le chef-d’œuvre de Rivette, dont le parfum de scandale a quasiment éclipsé la somptueuse épure ? Nicloux met ses pas dans ceux de Diderot, à travers une adaptation fidèle, jusqu’au système énonciatif, psalmodié en voix off, tandis que le marquis de Croimare découvre les mots de la pauvre Suzanne. Mais comme dans tant d’autres transpositions de textes littéraires, les fragments privilégiés ne sont que des jalons narratifs. Foin de la dimension psychologique de ce livre brillamment subtil comme peut l’être La Princesse de Clèves, dans la grande tradition du roman analytique à la française. Hélas, souvent, le cinéma se heurte à la difficulté de traduire toute la profondeur de ces récits menés en focalisation interne.
Si la chronologie des événements est scrupuleusement révélée, depuis le refus initial de Suzanne au moment de prononcer ses vœux jusqu’à la fuite du couvent, si le film insiste sur le harcèlement moral d’abord imposé par la famille puis l’institution religieuse, si le sadisme de certaines sœurs s’incarne dans une succession de scènes humiliantes, si l’on peut louer la crédibilité d’Isabelle Huppert dans le rôle de l’abbesse de Saint-Eutrope, on ne peut pas dire, malheureusement, que cette adaptation cinématographique échappe à une volonté illustrative qui la rend très scolaire et dilue le caractère subversif des intentions de Diderot dans une manière qui s’apparente à de la belle ouvrage, tout en clair-obscur.
Certes, quelques scènes parviennent à restituer la tonalité profondément anticléricale du texte de l’écrivain, mettent en exergue la dimension intrinsèquement carcérale de la vie promise à Suzanne, de l’immense voile qui s’abat sur elle comme un linceul, lors de la prononciation des vœux, jusqu’au déambulatoire où l’une des religieuses entre dans une crise d’hystérie, en passant par la lutte incessante d’une femme constamment en rébellion contre l’ordre qui s’impose à elle. Mais ce soin accordé à des atmosphères le plus souvent feutrées, ainsi que la grande application des comédiens à incarner leur rôle, Pauline Etienne en tête, qui exhale son désespoir en de délicats soupirs, offrant quelques crises peu crédibles comme des contrepoints attendus, en font un long-métrage finalement raisonnable qui nous laisse à distance. Mieux vaut lire ou relire l’admirable récit de Diderot.