Le 22 octobre 2003


Grands espaces et tragédie familiale dans une prose à couper le souffle.
Thomas Savage a été découvert l’année dernière avec Le pouvoir du chien [1]. La reine de l’Idaho est son second roman à paraître en France [2]. Cet auteur, originaire du Montana, décédé en juillet dernier, signe une fois encore un récit magnifique.
Il est question d’un écrivain du nom de Thomas Burton. Un écrivain ordinaire, marié à une écrivaine ordinaire. Ils gagnent correctement leur vie, ont élevé leurs enfants qui à leur tour ont eu des enfants... Cercle familial tranquille, avec ses hauts, ses bas, ses cris, ses joies. Et, un beau matin, Tom Burton reçoit la lettre d’une jeune femme qui prétend être sa sœur.
Elle se prénomme Amy, est née en 1912. Abandonnée par sa mère, Elizabeth Owen, elle est adoptée par les McKinney, un couple exemplaire, qui découvre un beau matin ce bébé sur le pas de leur porte. En grandissant, Amy, à qui les McKinney cachent sa réelle filation, va découvrir ce qu’elle n’aurait jamais dû apprendre. Car, ce n’est rien de le dire, "il y a toujours quelqu’un pour vendre la mèche".
Dès lors, Savage remonte plusieurs générations pour tenter d’expliquer l’inexplicable. Comment la douce et aimante Elizabeth Owen a pu abandonner sa fille ? Tom Burton s’interroge sur sa mère, qu’il n’aurait jamais, au grand jamais, soupçonné d’une chose pareille. Amy ment-elle ? Ou cette famille abrite-t-elle un secret qui n’a jamais percé ?
Plus que jamais, Savage s’affirme ici comme le poète sensible des grands espaces. Sa prose coupe le souffle. Véritable morceau de bravoure que cette immersion dans l’Ouest américain, à une période où tout reste possible, où les rêves de fortune des chercheurs d’or signifient encore quelque chose. Les personnages sont façonnés avec passion, au cœur d’un univers immense. Les destins sont tragiques, brisés, fragiles. Et tout gravite autour d’Emma, la grand-mère de Burton, la "reine du mouton". Un récit tout entier articulé sur ce portrait de femme absolument grandiose. Une femme autoritaire, éleveuse redoutable au caractère trempé évoluant dans un milieu masculin, et qui réussit à faire avaler leurs chapeaux aux cow-boys les plus téméraires. Une femme dure, mais terriblement sensible et attachante, pour qui l’auteur déborde d’amour.
La passion de Savage pour les terres gigantesques et ses personnages s’échappe de chaque page. Récit en trompe-l’œil, tout en subtilité, hymne à la famille, La reine de l’Idaho trouve naturellement sa place au cœur de la meilleure littérature américaine. Un écrivain qui s’impose et qui, déjà, fait figure d’incontournable.
Thomas Savage, La reine de l’Idaho (The sheep queen, traduit de l’américain par Pierre Furlan), Belfond, 2003, 310 pages, 19 €