L’armée des ombres
Le 11 septembre 2007
Admirable de densité, le nouveau film de Nicolas Klotz entend montrer le capitalisme dans ce qu’il a de plus insidieux. Courageux et insensé.
- Réalisateur : Nicolas Klotz
- Acteurs : Mathieu Amalric, Édith Scob, Lou Castel, Jean-Pierre Kalfon, Michael Lonsdale, Laetitia Spigarelli, Delphine Chuillot
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Festival : Festival de Cannes 2007
– Durée : 2h21mn
Admirable de densité, le nouveau film de Nicolas Klotz entend montrer le capitalisme dans ce qu’il a de plus insidieux. Courageux et insensé.
L’argument : Paris, de nos jours : Simon, 40 ans, travaille comme psychologue au département des ressources humaines de la SC Farb, complexe pétrochimique, filiale d’une multinationale allemande, où il est plus particulièrement chargé de la sélection du personnel.
Un jour Karl Rose, le co-directeur de la SC Farb demande à Simon de faire une enquête confidentielle sur le directeur général Mathias Jüst, de dresser un rapport sur son état mental.
Notre avis : A peine le film commencé que tout semble déjà joué. Amalric trimballe sa silhouette de jeune cadre aseptisé dans les couloirs, d’une beauté glaciale, de la SC Farb. Sa société, celle qui l’emploie. Veste noire et chemise blanche, l’armée des ombres est en marche. Il semblerait donc que Nicolas Klotz soit bien décidé à nous refaire le coup de l’aliénation des sociétés industrielles qui, de Dilinger est mort au Désert rouge, est un inépuisable terreau d’inspiration pour le cinéma d’auteur européen. La danse de la mort engagée, tout se déroule pour le mieux. Et puis le basculement a lieu, imperceptible. D’un discours efficace mais balisé sur le monde de l’entreprise (tendance "ton univers impitoyable"), La question humaine nous emmène beaucoup plus loin, en un de ces voyages cinématographiques dont on ne ressort pas tout à fait indemne. À l’image du système qu’il dénonce, le récit agit comme une mécanique de précision, à la fois implacable et discutable. La blessure, déjà, tirait sa force de cette rigueur théorique, cette éthique de la mise en scène qui exige que chaque plan, chaque déplacement, chaque détail soit réfléchi à l’avance. Une conscience de filmer, et de ce que ça implique, qui fait toute la différence entre le cinéma de poche, sorte d’artisanat fragile qu’il sont encore une poignée de cinéastes à pratiquer en France, et la production industrielle. Quand la machine fictionnelle se détraque, c’est l’imminence d’une catastrophe, omniprésente, qui semble planer sur les personnages. Sans doute le spectre de l’Histoire qui, tout à coup, contamine un Amalric de plus en plus lucide, de plus en plus faible. De plus en plus humain l’ex-petit soldat de la SC Farb dont les seuls moments de réconfort semblent être auprès de sa petite amie, une Laetitia Spigarelli éthérée. "Les amants réguliers" ou "la naissance de l’amour", on hésite entre les termes. Tout ce qu’on sait c’est qu’elle nous évoque les héroïnes de Garrel, jeunes filles irréelles dont elle à la "sauvage innocence". Chaque gros plan sur elle semble une capsule d’éternité. Une seule scène parvient à atteindre cette (sur)charge émotionnelle : Londsale (royal en vieux vampire fatigué du monde des affaires) et Amalric y écoutent un enregistrement, dans une ambiance spectrale Le morceau ? La jeune fille et la mort de Schubert, sommet mélancolique. Quand le désespoir le plus profond laisse percer une beauté parfaite.
La mort, elle, se matérialise par la tragédie de la Shoah qui, sans crier gare, s’immisce dans le film pour tout dévorer. Jusqu’à ce moment où notre héros récite, de sa voix blanche, une note technique de 1942 décrivant comment améliorer le rendement de camions destinés à gazer ses passagers juifs. Cette note, on se le rappelle, clôturait irrémédiablement la première partie de Shoah, le documentaire-somme de Claude Lanzmann. Tout un symbole. Le message est clair : nazisme ou capitalisme, le procédé est identique. Rationaliser et segmenter à l’extrême, pour ne jamais avoir à nommer ce que l’on fait. Ne pas appeler un homme un homme. Une "unité", à la rigueur.
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Norman06 27 avril 2009
La question humaine
N. Klotz et sa scénariste ont beau citer Weber pour le parallèle industrialisation/nazisme et Tourneur pour la suggestion de la terreur : le mauvais goût et le manichéisme de cette parabole sur le monde de l’entreprise ne permettent pas l’adhésion. Tiré par les cheveux et peu convaincant, ce pensum démonstratif basé sur des procédés éculés (lettres lues en voix off, onirisme pesant) ne vaut le détour que pour l’interprétation habitée d’Amalric. Bon courage tout de même !