Le 27 octobre 2017
Traînant une réputation calamiteuse pas tout à fait injustifiée, La prisonnière est le triste chant du cygne d’un cinéaste passionnant. Au milieu de clichés et d’audaces qui tournent court, ses admirateurs trouveront des traces d’un génie dérangeant. Seulement des traces.
- Réalisateur : Henri-Georges Clouzot
- Acteurs : Michel Piccoli, Bernard Fresson, Laurent Terzieff, Charles Vanel, Henri Garcin, Claude Piéplu, Pierre Richard, Germaine Delbat, Dany Carrel, Michel Etcheverry, Jackie Sardou, Elisabeth Wiener
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Italien
- Distributeur : Les Acacias, Valoria Films
- Editeur vidéo : TF1 Vidéo
- Durée : 1h50mn
- Reprise: 8 novembre 2017
- Box-office : 1.333.225 entrées France / 383.553 entrées Paris Périphérie
- Date de sortie : 20 novembre 1968
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Résumé : Le soir d’un vernissage, la compagne d’un artiste découvre le penchant pervers du directeur de la galerie pour les scènes de soumission sexuelle qu’il photographie. Bientôt elle devient son modèle, prisonnière de ses fantasmes et ceux du photographe.
Critique : Quand on aime Clouzot, on est triste que son dernier film, rejeté par la critique et le public, l’ait empêché de tourner dans les quelques années qui lui restaient à vivre. Mais quand on voit La prisonnière, on est bien obligé d’admettre que le temps des chefs-d’œuvre est loin, et que cette histoire confuse, jamais très loin du ridicule et du kitsch, constitue un adieu décevant ; sans doute était-il davantage porté sur l’ambiguïté que sur cet étalage complaisant et, un peu comme Hitchcock, n’était-il jamais autant à l’aise que dans une époque qui nous paraît puritaine, où sa noirceur camouflait (mal) un goût pour le retors. À trop l’exposer, il schématise, simplifie, et au total la perversion devient anodine. Il faut ajouter qu’on en a vu bien d’autres depuis...
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La prisonnière est construit en trois parties très inégales, mais au sein desquelles on trouve des échos qui lui donnent une relative unité. Dans la première, Clouzot s’attaque à la satire d’un monde superficiel, celui des marchands d’art et des artistes « bourgeois ». Il ne croit pas plus au couple permissif qu’au talent de ceux qui veulent « démocratiser le produit artistique », et peut-être faut-il voir dans le passage de Charles Vanel ou d’André Luguet, comme dans la prétention de ceux qui veulent se débarrasser des vieilles gloires, une manière d’autoportrait, celui d’un cinéaste d’un autre temps. Mais, ici comme dans l’inachevé L’enfer, il joue surtout à expérimenter, transformant l’image en un ensemble presque abstrait de formes géométriques et de couleurs qui, s’il s’accorde au milieu de l’art, sonne aussi comme le « tape à l’œil » que cherche Stan, propriétaire de la galerie, c’est-à-dire une provocation assez vaine et très mode. Les zooms et le découpage participent de cette recherche qui a bien mal vieilli. Elle atteindra son comble à la fin, dans le rêve kaléidoscopique de Josée, difficile à supporter.
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De même aura-t-on du mal à apprécier les séquences en Bretagne, dans lesquelles Stan et Josée vivent leur amour au bord de la mer. Loin des perversions, ils découvrent enfin la joie d’être ensemble en un amoncellement de clichés maritimes : c’est que la femme est foncièrement amoureuse, et qu’elle peut même guérir l’homme, ce grand enfant, de ses jeux sadomasochistes. Comment Clouzot a-t-il pu imaginer pareille niaiserie ? Même si la séquence se termine mal, tout comme le film, on a peine à ne pas sourire devant la course sur la plage et les vagues s’abattant sur le couple. Il faut supposer un second degré ou une dénonciation des stéréotypes féminins pour accepter d’aussi plates images.
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Reste que, heureusement, La prisonnière décrit aussi, dès les premières images, une fascination pour la domination et la souffrance qui dépasse la fausse audace : voir Laurent Terzieff courber une poupée a quelque chose de dérangeant. Plus tard, la séquence dans laquelle Josée donne des ordres à Maguy, la jeune modèle, alors qu’elle est absente, provoque elle aussi un trouble évident, plus que les séances elles-mêmes, trop longues. Là, Clouzot retrouve cette noirceur qui lui fait voir l’âme humaine comme un abîme : l’homme est toujours plus capable qu’il ne le croit de s’humilier ou d’humilier. On aurait aimé que cette noirceur se prolonge, contamine un film trop propret, au lieu qu’elle tourne en amour fade et jalousie banale. Il faut attendre quelques rares passages, ou des phrases éparses (« la vérité, ça sent mauvais »), pour savourer ce qui nous a toujours plu dans son œuvre, ce regard sans complaisance et pessimiste. Même s’il réussit à filmer la sensualité dans une chambre d’hôtel à l’aide de très gros plans, ou si la construction du métrage frappe par sa rigueur, La prisonnière, rien n’y fait, est une réelle déception que n’arrangent pas des acteurs en méforme. Une petite œuvre malade.
– Ce film est compris dans le beau coffret DVD : Clouzot l’essentiel, qui paraît le 24 octobre 2017.
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