Pierre Fresnay dans le chef-d’œuvre de Clouzot
Le 16 mars 2021
Les habitants d’une petite ville sont harcelés de lettres anonymes. Ce chef-d’œuvre de la noirceur, tourné sous l’Occupation, sera l’objet de vives polémiques à la Libération.
- Réalisateur : Henri-Georges Clouzot
- Acteurs : Pierre Fresnay, Sylvie, Louis Seigner, Pierre Larquey, Ginette Leclerc, Jean Brochard, Antoine Balpêtré, Jeanne Fusier-Gir, Noël Roquevert, Bernard Lancret, Héléna Manson, Micheline Francey, Liliane Maigné, Pierre Bertin, Roger Blin, Marcel Delaître
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Français
- Distributeur : Les Acacias, Films Sonores Tobis
- Editeur vidéo : Studiocanal
- Durée : 1h32mn
- Date télé : 2 décembre 2024 20:55
- Chaîne : Arte
- Reprise: 8 novembre 2017
- Date de sortie : 28 septembre 1943
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Résumé : Les notables de Saint-Robin, petite ville de province, commencent à recevoir des lettres anonymes signées Le corbeau, dont le contenu est calomnieux. Ces calomnies se portent régulièrement sur le docteur Rémi Germain, accusé de pratiques abortives, ainsi que sur d’autres personnes de la ville. Les choses se gâtent lorsque l’un des patients du docteur Germain se suicide, une lettre lui ayant révélé qu’il ne survivrait pas à sa maladie. Le docteur Germain enquête pour découvrir l’identité du mystérieux corbeau.
Critique : Après L’assassin habite au 21 (1942), son premier long métrage, Henri-Georges Clouzot retrouve Pierre Fresnay (magistral) dans cette adaptation d’un fait divers ayant défrayé la chronique judiciaire de la commune de Tulle, entre 1917 et 1922. Ses habitants avaient été harcelés de lettres anonymes, créant un climat de suspicion et de rancœurs qui mit en émoi toute une ville. Produit par la firme franco-allemande Continental, sous contrôle de l’occupant, Le corbeau suscita de nombreux malentendus. Le gouvernement de Vichy vit d’un mauvais œil cette chronique désabusée peignant les Français sous un joug peu flatteur, loin de l’idéal pétainiste de « Travail, famille, patrie ». Les résistants de la dernière heure y décelèrent un outil de propagande nazie visant à dénigrer le peuple français, le vénérable critique Georges Sadoul y voyant même l’influence de Mein Kampf, rien de moins ! Un comité d’épuration s’acharna sur Clouzot à la Libération, réussissant à obtenir la suspension professionnelle du cinéaste et l’interdiction du film, qui furent effectives pendant plusieurs mois. Ces reproches apparaîtront vite infondés. Loin d’avoir voulu réaliser un film de collaborateur, Clouzot et son scénariste Louis Chavance semblent au contraire dénoncer la lâcheté de la délation, dont on sait qu’elle fut considérable sous l’Occupation. Apparaissant rétrospectivement, mais partiellement, comme un double du cinéaste, le docteur Germain est ce misanthrope victime des médisances, honnête homme blasé, asocial mais franc, blessé par l’amour mais finissant par y succomber, et toujours fidèle à ses convictions morales. Le microcosme humain qui défile sous ses yeux et à l’écran est redoutable. Denise, la fille facile (Ginette Leclerc), feint d’être malade afin de sentir le contact physique du médecin, ouvre de grands yeux aguicheurs de femme fatale mais la vamp est boiteuse et se révélera le seul personnage humain du récit.
Rolande, sa nièce (Liliane Maigné), est une adolescente fourbe et voleuse, l’image de la puberté anticipant la vision subversive de Kubrick dans Lolita. La vieille mère courage (Sylvie), en deuil de son fils malade (Roger Blin), est une adepte de l’autodéfense. La jeune femme posée et fidèle (Micheline Francey) a des tentations inavouables. Sa sœur, l’infirmière Marie Corbin (prodigieuse Héléna Manson), malmène les malades et vole morphine et seringues pour satisfaire l’addiction toxicomane de son beau-frère, vénérable psychiatre. Les autres notables ne sont guère mieux lotis : le directeur de l’hôpital (Antoine Balpétré) pelote la fille de son intendant (Jean Brochard), lequel détourne des fonds, tandis que le receveur des postes (Pierre Palau) semble se réjouir d’une hausse de l’activité, une lettre devant toujours parvenir à son destinataire... Pendant ce temps-là, la mercière experte en commérages (Jeanne Fusier-Gir) s’en donne à cœur joie... Loin du réalisme poétique d’avant-guerre, qui survécut en ces années avec les œuvres de Carné et Prévert, le naturalisme de Clouzot est sec et encore plus désenchanté. « Bourgeois ! », lance la putain en quête de respectabilité, et lasse des préjugés de son amant. La critique sociale, acerbe, annonce les jeux de massacre d’un Chabrol, même si Clouzot n’épargne aucune classe. Refusant toute fioriture esthétique, le cinéaste préfère une tonalité expressionniste. Il donne la vision de son art dans cette célèbre séquence où le docteur Vorzet (génial Pierre Larquey) fait osciller une ampoule en s’exclamant : « Où est l’ombre ? Où est la lumière ? Où est la frontière du mal ? ». Pièce maîtresse du cinéma français, Le corbeau n’a pas pris une ride et fait toujours frissonner, quatre-vingt ans après sa sortie...
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