Le 14 novembre 2018
Une fascinante plongée dans l’histoire de l’Indochine à travers des archives redoutablement montées.
- Réalisateur : Rithy Panh
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français, Cambodgien
- Editeur vidéo : Épicentre Films Éditions
- Durée : 1h15mn
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– Sortie DVD : le 6 novembre 2018
Résumé : Pour laisser au téléspectateur le choix du regard qu’il porte sur cette période de l’histoire, Rithy Panh a volontairement opté pour un documentaire constitué d’images d’archives, sans aucun commentaire. De l’Indochine du début du XXe siècle à la chute de Dien Bien Phu, le réalisateur évoque une histoire de la colonisation, mais aussi une rencontre de deux cultures et deux sensibilités. La musique tient ainsi un rôle primordial dans ce fim, exprimant mieux que des mots des instants difficiles, insolites ou angoissants. A travers ce retour sur l’histoire de l’Indochine, Rithy Panh permet de mieux en appréhender le présent.
Notre avis : Ce film n’est constitué que d’images d’archives, du début du vingtième siècle à la chute de Dien Bien Phu, sans commentaires ni dates, mais elles tirent leur signification du montage, de la musique et surtout de cartons qui reflètent la mentalité coloniale. Ce n’est pas un voyage confortable auquel nous invite Rithy Panh, au contraire : le colonialisme y apparaît sous sa forme brutale, que des discours qui prennent une connotation ironique justifient avec des grands mots (« tutelle bienveillante, belle liberté, prospérité de tous »), mots démentis par des séquences fortes. On n’oubliera pas deux femmes lançant des cacahuètes aux indigènes, une jeune fille avançant devant la caméra sous les quolibets ou ces enfants fumant des cigares. Parfois, le ton est encore plus rude. Quand il y a révolte (« ceux qui résistent aux lumières du progrès sont justement châtiés »), l’image d’un cadavre rappelle que la colonisation ne se fait pas sans violence. La juxtaposition de la phrase et du plan produit un effet puissant, un réveil nécessaire des consciences.
Mais ce qui met peut-être le plus mal à l’aise, c’est le passage sur les femmes dans lequel « chacun choisit sa petite épouse » : là le racisme, dont on sait depuis longtemps le lien qu’il a avec le sexe, montre son mépris franc et joyeux ; d’autant que les images de couples mixtes (dans lesquels c’est toujours l’homme qui est blanc), révoltantes en soi, s’accompagnent de commentaires humiliants (« La Tonkinoise est sensuelle et soumise »). Le racisme, c’est non seulement affirmer sa supériorité sur l’autre, mais aussi lui dénier une individualité et le film ne cesse de le prouver : les indigènes sont là pour exécuter, obéir, et la fameuse « transmission » de savoir-faire n’est qu’une manifestation de cette prétention à dominer. D’ailleurs Rithy Panh multiplie les plans dans lesquels des indigènes de tout âge marchent en rang, pour travailler, pour une procession, pour défiler. La mise au pas n’est pas que symbolique.
Certes, La France est notre patrie recèle des images moins noires : le « paradis » évoqué dans les cartons s’affiche dans des scènes de la vie quotidienne ou des danses, bref dans ces scènes exotiques que dès l’invention du cinéma les opérateurs Lumière ramenaient pour la satisfaction du public occidental. Sans doute y a-t-il ici une part d’idéalisation, mais elle donne le sentiment d’un bel équilibre ruiné au nom de la civilisation. Parfois l’humour est suscité par le montage : ainsi de ces « élégantes » qui posent et qu’un plan de coupe confronte au regard narquois des indigènes. Mais le plus souvent, le film travaille à montrer l’hypocrisie de la colonisation qui est essentiellement économique dans toute sa rigueur.
Il se trouvera sans doute des voix pour juger le film trop partial et univoque. Il l’est. Mais outre le fait qu’il n’y a plus grand monde pour regretter les colonies, la partialité est revendiquée dans le carton final, à la première personne : « les images se jouent de nous. Je les ai montées en silence, à ma façon indigène ». Alors, si comme on le dit l’histoire est écrite par les vainqueurs, on peut s’intéresser au fait que leurs films signifient avec le recul autre chose que ce qu’ils pensaient.
Les suppléments :
Dans son entretien (22mn), le réalisateur revient sur le projet initial et le statut des archives. Le regard est plus moral que moraliste, toujours intéressant. À quoi s’ajoutent une galerie photos, une biographie et une filmographie sélective.
L’image :
La cotation n’a pas vraiment de sens, le film étant essentiellement composé d’archives plus ou moins bien conservées.
Le son :
La musique, capitale dans le projet, a suffisamment de présence pour susciter le malaise voulu.
Galerie photos
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