Le 25 mai 2018
Sixième film d’un cinéaste singulier, La femme-insecte est une œuvre aussi noire que dépouillée et puissante.
- Réalisateur : Shohei Imamura
- Acteurs : Sachiko Hidari, Masumi Harukawa, Seizaburô Kawazu
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Mary-X Distribution
- Durée : 2h03mn
- Reprise: 30 mai 2018
- Titre original : Nippon Konchuki
- Date de sortie : 11 octobre 1972
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– Année de production : 1963
Résumé : Au début du siècle, Tome nait à la campagne dans la pauvreté la plus totale. Décidé à changer sa condition et à connaitre la fortune par tous les moyens, elle part pour la ville. Son destin suit celui de son pays dont elle subit les bouleversements de front.
Notre avis : Un insecte marche, puis entreprend de gravir un monticule, peine à le faire. Mais l’image s’arrête, on ne sait pas s’il y parviendra. À ces premières images correspondent les dernières, dans lesquelles Tome tente de rejoindre sa fille dans la campagne et s’embourbe. Là non plus, l’issue ne sera pas donnée. Imamura préfère arrêter l’image, ce qu’il fait régulièrement dans ce film, accompagnant ces figements d’une petite chanson descriptive peut-être tirée du journal que l’héroïne tient, quelques vers sombres qui donnent un écho plaintif au récit.
- Copyright Mary-X Distribution
Le récit lui-même tient du pur mélodrame : on y suit depuis sa naissance en 1918 le parcours chaotique de Tome, issue d’une famille pauvre, avec d’abord une ascension qui l’amène jusqu’à être tenancière d’un bordel, puis sa chute (prison, abandon). Dès le début sa vie est placée sous de mauvais auspices : la déclaration de naissance s’accompagne du ricanement des employés, pour qui les villageois ne sont que des « porcelets », et la paternité incertaine (motif qu’on retrouvera à la fin chez Nobuko, la fille de Tome). Puis elle est quasiment offerte au propriétaire d’une usine, licenciée, prostituée … De quoi renouer avec le bon vieux mélo d’antan. Ce serait évidemment mal connaître Imamura : au lieu d’apitoyer son spectateur avec une victime larmoyante affrontant d’odieux bourreaux, il montre une société avide et corrompue à laquelle Tome participe pleinement ; ainsi n’hésitera-t-elle pas à dénoncer la tenancière pour prendre sa place. C’est que le cinéaste ne fait ni dans le sentiment ni dans la morale : le premier est toujours suspect et repose sur des apparences (Nobuko séduit l’amant de sa mère mais c’est pour mieux le dépouiller, et Tome semble n’aimer que son père en une relation incestueuse assez sordide) ; la seconde n’existe pas dans un Japon en proie à de multiples tourments, que des images d’archives rappellent périodiquement. Ce Japon de la défaite est aussi un monde capitaliste cynique dans lequel « on est censé être en démocratie », mais où « il y a de l’offre parce qu’il y a de la demande ».
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Rien pourtant du brûlot politique, dont Imamura se gausse lors d’un discours inaudible : il part plutôt de la responsabilité collective (la famille prête à se débarrasser de Nobuko à sa naissance) et individuelle (les multiples trahisons) d’un peuple avili pour observer à la manière froide d’un entomologiste ces insectes retors qui ne cessent de combiner dans leur propre intérêt. Pas d’altruisme, peu de sentiments, une vie de lutte dans un gigantesque tous contre tous.
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Le réalisateur traque la sensiblerie en travaillant l’ellipse (plus de quarante ans d’une existence en deux heures …) et en refusant la plupart du temps les gros plans. Il préfère les sur-cadrages et les cadres tranchants qui isolent, masquent, réduisent les personnages : on a parfois d’impression de voir des rats dans un labyrinthe, la caméra enregistrant leurs efforts ridicules pour s’échapper d’un univers clos. Cet emprisonnement est d’ailleurs l’un des motifs récurrents, non seulement par des intérieurs étouffants et de extérieurs surpeuplés, mais aussi par un système de répétitions (de scènes, de répliques, de situations) qui tissent des mailles serrées autour des protagonistes. Si le mot « destin » est prononcé une fois, il imprègne l’ensemble du film d’un sentiment d’inexorable. Les quelques plongées verticales renforcent cet écrasement et, malgré deux séquences de bonheur qui se répondent (celui de Tome, puis celui de sa fille), l’impression générale que laisse cette œuvre austère et particulièrement sombre est désespérante. Imamura, avec un regard clinique, ne laisse pas beaucoup de chance à ses personnages et sa vision de l’âme humaine n’a rien de réjouissant.
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