Une si longue attente...
Le 19 janvier 2018
Un film d’une grande langueur, qui s’attarde davantage sur le texte de Marguerite Duras que sur son sens véritable.
- Réalisateur : Emmanuel Finkiel
- Acteurs : Benoît Magimel, Caroline Ducey, Mélanie Thierry, Grégoire Leprince-Ringuet, Benjamin Biolay, Salomé Richard, Shulamit Adar
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Distributeur : Les Films du Losange
- Durée : 2h06mn
- Date télé : 15 décembre 2021 20:55
- Chaîne : Arte
- Box-office : 330.466 entrées France /83.694 Paris Périphérie
- Date de sortie : 24 janvier 2018
- Festival : Rencontres cinématographiques de Cannes 2017
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Juin 1944, la France est toujours sous l’Occupation allemande. L’écrivain Robert Antelme, figure majeure de la Résistance, est arrêté et déporté. Sa jeune épouse Marguerite, écrivaine et résistante, est tiraillée par l’angoisse de ne pas avoir de ses nouvelles et sa liaison secrète avec son camarade Dyonis. Elle rencontre un agent français de la Gestapo, Rabier, et, prête à tout pour retrouver son mari, se met à l’épreuve d’une relation ambiguë avec cet homme trouble, seul à pouvoir l’aider. La fin de la guerre et le retour des camps annoncent à Marguerite le début d’une insoutenable attente, une agonie lente et silencieuse au milieu du chaos de la Libération de Paris.
Critique : Souvenez-vous, c’était en août 1944 : après avoir été outragée, brisée et martyrisée, Paris était enfin libérée ! D’aucuns se souviennent des films et images d’archives qui montraient des scènes de liesse, entre soldats victorieux et civils enfin débarrassés de l’occupant, tous prêts et bienheureux de pouvoir enfin reprendre le cours de leurs vies… Tous, vraiment ?
Cette mise en scène qui a traversé les décennies et a été partagée dans le monde entier cachait en fait une bien sombre réalité, puisque des familles par milliers attendaient encore, au pire, des nouvelles de leurs proches, au mieux, leurs retours de destinations inconnues vers lesquelles ils avaient été conduits par l’ennemi. Parmi elles se trouvaient la jeune écrivaine Marguerite Duras, dont le mari Robert Antelme avait été arrêté en juin 1944 et déporté.
La Douleur s’attarde ainsi sur deux périodes bien distinctes : la rencontre de l’auteure avec un agent de la Gestapo qui pourrait l’aider à libérer son époux, puis l’insoutenable attente qui débute pour elle, dès que les Allemands quittent Paris, la laissant sans la moindre possibilité d’obtenir une quelconque information le concernant. Alors que l’absence prend tout son sens et que la joie nationale qui a suivi la fin de la guerre est bien amère pour ceux qui ont perdu des êtres aimés et souffrent, la douleur commence seulement pour la jeune et belle Marguerite…
- Copyright Les Films du Losange
Publié en 1985, La Douleur se base sur des recueils autobiographiques écrits par l’auteure alors qu’elle attendait le retour de son époux. Elle avait alors couché sur le papier ses peurs, ses envies et la longue attente qui a suivi l’arrestation d’un mari conduit en camp de concentration. Ces cahiers de guerre s’attardent sur la vie "à l’arrière", en décrivant l’existence des familles qui attendent avec angoisse pendant que leurs proches sont dans un lieu inconnu.
Marguerite Duras se transforme alors en narratrice, et décrit la vie quotidienne à Paris, entre la bourgeoisie qui s’entend avec l’occupant, la résistance qui tente d’opérer discrètement et les rumeurs sur le traitement réservé aux juifs, aux détenus politiques et aux autres victimes potentielles que les Allemands déportent sans vergogne.
Le propos du film n’est pourtant pas la reconstitution historique : il n’est pas question ici de s’extasier devant des décors mais plutôt de devoir subir des images numériques qui manquent cruellement de réalisme. En noyant la vision du Paris de 1944 sous des images qui manquent de netteté ou sont remplacées par des passages flous franchement malvenus étant donné l’époque décrite, le réalisateur ne peut que perdre son public qui pensera aussitôt que la gravité de ce moment historique méritait bien mieux.
- Copyright Les Films du Losange
La mise en scène manque ainsi cruellement de mesure. S’il est vrai qu’il est insupportable de devoir subir une bande-son pendant toute la durée d’un long-métrage, à croire que le public ne doit pas profiter de l’image qu’il a sous les yeux sans supporter une musique qui l’empêche de réfléchir à la portée de ce qu’il voit, La Douleur opère le même schéma en laissant la narratrice parler. Parler, parler, encore et encore et presque sans interruption, au point que la prose de Marguerite Duras devient vite insoutenable. Si L’Amant avait réussi le pari de transposer l’ouvrage de l’écrivaine, en permettant à Jeanne Moreau de lire de simples passages tout en laissant l’action se dérouler sous nos yeux, La Douleur a pris le parti de laisser une très (très !) grande place à la narration. L’expérience vécue par le film s’apparente ainsi davantage à de la lecture ou à l’écoute d’un livre-audio qu’à une expérience cinématographique.
- Copyright Les Films du Losange
Il faut ainsi attendre les dernières minutes du film pour s’impliquer dans cette narration sans fin, qui permet de mieux appréhender toute la cruauté de la Libération de Paris, avec le retour des détenus des camps de concentration et des prisonniers de guerre. Alors que Mélanie Thierry, qui campe une Marguerite Duras fragile et perturbée, attend toujours le retour de son mari, sa douleur doit rester silencieuse ; tout comme les souffrances des survivants, dont la parole a été occultée pendant de nombreuses années.
Toutefois, si l’objectif du réalisateur était de permettre à une personne de s’exprimer alors que tant d’autres ne l’ont pas pu, force est de reconnaître que parler est essentiel pour le personnage alors que pour le spectateur, la voix de la narratrice devient vite un bruit sourd qu’il veut oublier mais qu’il est impossible d’occulter.
Aussi vrai qu’il est agréable pour le public de pouvoir se forger sa propre opinion sans qu’elle soit forcément suggérée, La Douleur n’apporte rien de plus que le point de vue d’une auteure dont il est peut-être plus pertinent de lire l’ouvrage. Si, après ces deux heures de narration, vous en avez encore le courage.
Galerie Photos
Le choix du rédacteur
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.