Littérature étrangère
Le 7 août 2002
Premier roman qui va droit au cœur, à lire le sourire aux lèvres et les larmes au bord des paupières.


- Auteur : Camilla Gibb
- Editeur : Plon
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Anglaise

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Thelma et "l’homme que nous appelons notre père", Thelma caillou, Thelma insecte, Thelma poisson. Quels mécanismes de défense développer pour survivre à l’inceste ? "...Une fillette de son âge devrait jouer à la poupée sans être la poupée qui se fait martyriser..." [1] Thelma est la poupée-secrétaire de son père. De ses petits doigts, elle tape vaillament sur les touches d’une machine à écrire imaginaire jusqu’à la faute de frappe qu’il faut payer en ouvrant grand la bouche comme un poisson rouge.
Atmosphère poisseuse d’un entourage qui sait et ne fait rien ou presque. Histoire d’une banalité effroyable. Éloignement du père, provisoire, une année de répit et retour à la case départ. Que reste-t-il à Thelma sinon la possibilité de se réfugier dans son monde à elle ? Imagination salvatrice. Béquille des doubles fantasmés : Janawee, un vrai bébé aux tresses blondes qui "pleure énormément parce que presque tout lui fait peur", Ginniger, une grande fille qui sait jouer tous les rôles, même celui de la "méchante secrétaire", Héroïne, qui galope sur son cheval à travers la campagne et "domine tout le monde par sa taille et sa bravoure".
Enfin le père disparaît à jamais. Mais sonne l’heure de l’adolescence où les doubles ne sont plus d’aucun secours. Anorexie. Museler cette bouche infecte. Ne plus nourrir ce corps haï. Tout faire pour parvenir à l’état d’irréalité. Thelma s’envole comme un embryon d’insecte, s’écrabouille au plafond d’une psychothérapie qu’elle refuse de toutes les cellules de son cerveau et de son corps meurtri, et aborde l’âge adulte en mille morceaux. Fuyant les autres tout en criant muettement "aimez-moi, aimez-moi !"
Un homme, une femme, une psychanalyste croisent alors son chemin et font s’éveiller la jeune femme - à petits pas, doucement, très doucement, précautionneusement et parfois maladroitement - à des sentiments inédits. Elle qui, jusque-là, se transformait en cadavre à la moindre émotion, constate, incrédule, le progrès : "Au moins, je ne tombe plus en poussière au premier éternuement." Le temps est venu pour Thelma de sortir les mots de sa bouche. Et pour la fougueuse, fantasque et fidèle Héroïne de rétrécir peu à peu. "Bientôt, elle ne sera plus qu’un feu follet qui se contentera de flotter en eau douce."
Et bientôt viendra l’heure pour Camilla Gibb - comment douter que ce premier roman soit autobiographique ? - de poser sur le papier ses mots pleins de violence, d’humour et de chimères et de nous en faire les dépositaires.
Camilla Gibb, La bouche pleine de mots, (Mouthing the words, traduit de l’anglais par Gabrielle Rolin), Plon, 2002, 261 pages, 18 €
[1] Extrait d’un poème d’Aladiah sur le site inceste.org