Le 4 juin 2024
Deux heures de bonheur et de grâce avec ce remake musical de Ninotchka d’Ernst Lubitsch.
- Réalisateur : Rouben Mamoulian
- Acteurs : Peter Lorre, Cyd Charisse, Fred Astaire, George Tobias, Janis Paige, Jules Munshin
- Genre : Comédie, Romance, Comédie musicale
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Metro-Goldwyn-Mayer
- Durée : 1h57mn
- Date télé : 24 octobre 2024 22:17
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Titre original : Silk Stockings
- Date de sortie : 10 janvier 1958
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Résumé : Afin d’empêcher le compositeur Pierre Borov de mettre son talent prolétarien au service d’un film capitaliste américain, les commissaires Bibikov, Ivanov et Brankov sont dépêchés à Paris pour ramener de gré ou de force le musicien. Celui-ci ne tient guère à retrouver le paradis soviétique et se confie à Steve Canfield, son producteur, qui prend à tâche d’apprivoiser les émissaires de Moscou et y réussit au delà de toute espérance. Tout remords écarté, ils n’ont qu’une envie : faire durer leur séjour à Paris. À la longue, Moscou s’inquiète et dépêche un super-commissaire, "le" camarade Yoschenko. Ce dernier est "une" camarade, Anna, dite Ninotchka, qui débarque de son pays, gourmée, stylée, stakhanoviste, matérialiste, marxiste orthodoxe. Steve reprend avec elle la tactique qui a si bien neutralisé le trio ; il échoue d’abord, mais le printemps et la vie de Paris ont raison des positions intellectuelles de la camarade...
Critique : La belle de Moscou signe un peu le crépuscule des grandes comédies musicales, après Show boat, Un Américain à Paris, Chantons sous la pluie ou encore Brigadoon, pour ne parler que des années 1950 ; le film est par ailleurs le dernier tourné par Mamoulian. Autant dire qu’il apparaît théoriquement et rétrospectivement comme un surgeon tardif dans la tradition MGM, et devrait attirer notre regard nostalgique. Mais il n’en est rien : le spectacle est infiniment plaisant, roboratif, coloré, vif, bref, une vraie leçon de vie hédoniste, digne de l’œuvre initiale.
De Ninotchka de Lubitsch, les scénaristes ont repris la trame générale (une austère responsable soviétique découvre les joies de Paris et l’amour), mais aussi des séquences marquantes (l’« exécution » au champagne, la lettre censurée) et des répliques (ainsi de celles sur l’exploitation du porteur ou du valet) ; en revanche, ils ont transposé l’intrigue dans le milieu du cinéma, ajouté certains personnages (le musicien, Boroff, la vedette Peggy Dayton qui le fait rêver), et joué avec des variations (ce n’est plus un chapeau mais les bas du titre original qui attirent Ninotchka après l’avoir écœurée ; elle ne cède plus par le rire mais par la danse, etc.). L’esprit cependant est le même et pousser la liste des ressemblances et différences plus loin serait stérile, surtout que l’époque a changé (presque vingt ans séparent le Lubitsch du remake) et ne permettrait plus d’utiliser les bijoux de l’ancienne Russie comme moteur narratif. Dernier point, mais de taille : Cyd Charisse et Fred Astaire ne déméritent pas face à Greta Garbo et Melvyn Douglas.
Le film commence par un ballet de pieds marchant et sautillant, avec des piles de journaux dont les titres résument ce que l’on doit savoir pour comprendre la suite ; et déjà, par cette efficacité et cette élégance toute classiques, on pénètre dans l’univers délicat de Mamoulian, comme une signature qui annonce tout le charme à venir. Charmant, au sens fort, La belle de Moscou l’est constamment : pas une once de vulgarité (ou alors celle, voulue, de Peggy Dayton), mais un raffinement exquis, que ce soit dans les moments dansés (la « danse du bas » de Charisse est une merveille) ou dans les dialogues vifs et souvent drôles. Le cinéaste se coule dans les conventions du genre avec aisance en filmant frontalement les chorégraphies ou respectant la lisibilité et la fluidité qui lui sont inhérentes.
Évidemment, l’anticommunisme est primaire : la grisaille de Moscou, la corruption et le conditionnement par la propagande, même utilisés à des fins comiques, ne font pas dans la demi-mesure. Mais La belle de Moscou ajoute une satire du comportement américain, certes plus légère, notamment quand Ninotchka reproche à Steve de lui interdire de penser ; plus encore, le film caricature le système hollywoodien avec ses stars (Dayton est une idiote tout droit venue de Chantons sous la pluie, mais aussi une Esther Williams alcoolique -voir les moyens drolatiques de l’empêcher de boire), ses réécritures de l’histoire (« dans un film américain, Napoléon est capable de gagner en 1812 »), ses obsessions financières, voire sa vulgarité ; clin d’œil d’autant plus vif qu’il permet une mise en abyme de La belle de Moscou, lui aussi transposition musicale.
Ce qui nous emballe cependant, c’est bien la transformation du robot soviétique en femme langoureuse ; dès ses premières répliques, « la musique est nécessaire aux défilés, la soie ne devrait servir qu’aux parachutes », elle se définit en idéologue de l’utilitaire, hostile aux abandons et aux sensations. Mais, et c’est l’échec de l’URSS et le triomphe de Hollywood sinon de l’Amérique, elle s’incarne peu à peu et s’ouvre aux joies humaines. En ce sens, la morale hédoniste représente la liberté individuelle et glorifie le libre arbitre comme la beauté : Mamoulian, qui fut un esthète distingué, ne pouvait que se retrouver dans cette célébration qui se manifeste moins par des décors (on parle de la beauté de Paris, on la montre très peu) que par l’harmonie des corps dansants. S’il y a un message dans La belle de Moscou, c’est moins sur un système politique qu’il s’appuie que sur l’exaltation du moment présent, de l’être-là, du bonheur d’exister.
Impeccable et racé, ce film méconnu retrouve la fraîcheur et la grâce de l’original ; et pour les amateurs, voir Fred Astaire et Cyd Charisse danser est en soi un plaisir précieux, raffiné ; pour les autres, la drôlerie de l’ensemble, la prestation d’un Peter Lorre dans un quasi contre-emploi, l’élégance soyeuse de la mise en scène restent des atouts suffisants pour rire et s’émouvoir pendant deux heures.
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