Tran Anh Hung, retour du fils prodigue du cinéma asiatique
Le 4 mai 2011
Entre gravité et vacuité : une histoire de vie, de mort, et d’amours éternels.
- Réalisateur : Trần Anh Hùng
- Acteurs : Ken’ichi Matsuyama, Rinko Kikuchi, Kiko Mizuhara
- Genre : Drame, Romance
- Nationalité : Japonais
- Date de sortie : 4 mai 2011
- Plus d'informations : http://www.prettypictures.fr/n_actu...
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– Durée : 2h13mn
– Titre original : Noruwei No More
Entre gravité et vacuité : une histoire de vie, de mort, et d’amours éternels.
L’argument : Tokyo, fin des années 60. Kizuki, le meilleur ami de Watanabe, s’est suicidé. Watanabe quitte alors Kobe et s’installe à Tokyo pour commencer ses études universitaires. Alors qu’un peu partout, les étudiants se révoltent contre les institutions, la vie de Watanabe est, elle aussi, bouleversée quand il retrouve Naoko, ancienne petite amie de Kizuki. Fragile et repliée sur elle-même, Naoko n’a pas encore surmonté la mort de Kizuki. Watanabe et Naoko passent les dimanches ensemble et le soir de l’anniversaire des 20 ans de Naoko, ils font l’amour. Mais le lendemain, elle disparaît sans laisser de traces. Watanabe semble alors mettre sa vie en suspension depuis la perte inexplicable de ce premier amour. Lorsqu’enfin il reçoit une lettre de Naoko, il vient à peine de rencontrer Midori, belle, drôle et vive qui ne demande qu’à lui offrir son amour.
Notre avis : « I once had a girl, or should I say, she once had me,
and when I awoke, I was alone, this bird had flown by »
Norvegian wood, The Beatles.
Cinquième film du réalisateur de L’odeur de la papaye verte (Tran Anh Hung) et adaptation du
best-seller japonais Norvegian wood (Haruki Murakami), La ballade de l’impossible conjugue tragédie grecque
et mélancolie asiatique en un triste conte des temps modernes.
D’une noirceur étonnante pour cet habitué des thrillers passionnés et nostalgies voluptueuses,
la nouvelle œuvre du cinéaste franco-vietnamien a le charme enivrant d’une beauté mortifère.
Récit d’un premier amour, d’un premier deuil, et d’une première peine de cœur,
La ballade de l’impossible image la douloureuse expérience de l’entrée dans l’âge adulte.
Couple condamné par la disparation de Kizuki, Wanatabe et Naoko voit leur histoire s’avortée
avant même de pouvoir la commencer. Roméo et Juliette à la sauce japonaise, les amants errent ensemble,
tel deux âmes en peine, le temps d’un rendez-vous hebdomadaire en forêt, le dimanche après-midi.
Une marche muette, platonique, et expiatoire aux allures de pénitence, qui n’est pas sans rappeler celle du couple maudit de Dolls (Takeshi Kitano). Enchainés à leur passé, Wanatabe et Naoko n’osent pas même se regarder.
Résolument sensuel, l’esthétique de Tran Anh Hung continue sa route des cinq sens initié avec
L’odeur de la papaye verte (odorat), et A la verticale de l’été (toucher). Ici la clef de voûte, c’est la vue.
Jouant sur la présence fantomatique du défunt, le réalisateur use plastiquement du visible et de l’invisible pour traiter de l’existence, la disparition et de la perte. Bruissement du vent sur les feuilles, pluie torrentielle, neige momifiante, la figure de Kizuki hante les tête-à-têtes de Wanatabe et Naoko dont les entrevues rythmiques et éphémères s’égrènent au fil des saisons sans jamais faire progresser le récit. Le temps de la rencontre amoureuse semble dans cette ballade de l’impossible suspendue pour toujours dans les limbes de leur dix-neuf ans :
« Je pense que les gens ne devraient jamais avoir vingt ans. Ils devraient faire l’aller-retour entre dix-neuf et vingt. Ils auraient dix-neuf ans, puis vingt, puis dix-neuf. Je ne me sens pas prête à avoir vingt ans »
(réplique de Naokole soir de ses vingt ans, juste avant de fondre en larmes dans les bras de Wanatabe).
Cette douce dérive des corps en survivance, c’est ce que l’auteur du roman appelle « mono no aware », un concept asiatique que l’on pourrait définir comme l’empathie envers les événements ou comme l’hyper-sensibilité de l’éphémère. Au Japon, la formation de l’être est partie prenante du regard de l’autre.
L’individu se définit sur le collectif et la notion de dette envers autrui est fortement ancrée dans les mœurs.
Aussi la mort de son meilleur ami entraîne-t’elle un sentiment de honte chez Watanabe, sentiment qui s’accroît lorsqu’il tombe amoureux de son ex-copine et qu’il lui fait l’amour. De même pour Naoko qui, n’ayant jamais eu
de rapports charnels avec Kizuki, culpabilise d’y arriver si facilement dans les bras de Watanabe.
Immatériel et passé dans l’au-delà, le corps de Kizuki n’en reste pas moins présent, laissant traces et ombres sur chaque étreinte d’un jeune couple que l’on sait éternellement acculé au triangle amoureux.
Ici, le traitement et la place du corps dans le cadre porte toute l’esthétique du film.
Que ce soit la tétanie hystérique de Naoko ou les poses affectées de Midori, la gestuelle parle d’elle même et en dit plus long que les personnages. Une mise en scène de la gestuelle sublimée par le travail de Mark Lee Ping-Bee, talentueux directeur de la photo précédemment remarquée dans In the mood for love, dont le regard « donne à l’image une sensation d’instabilité et de flottaison exprimant une profonde inquiétude face à la fragilité de l’existence » (Tran Anh Hung).
Une texture et une température d’image que l’on pourrait qualifier de poétique pour une œuvre dramatiquement nostalgique et parfaitement stylisée dans les règles de l’art contemplatif asiatique.`
Dans ce ballet des corps amoureux, l’accord n’est jamais au rendez-vous et les cœurs à la mauvaise heure.
Glissant dans le mutisme et la folie, le corps de Naoko se referme instantanément après s’être ouvert à Wanatabe, comme brulé au fer rouge par sa trahison physique d’avec Kizuki. Sur ces corps déjà traumatiques vient se
sur-ajouter l’apparition d’un second triangle amoureux incarné par le personnage de Midori, jeune fille souriante
et dynamique, qui ne demande qu’a aimer Wanatabe. Sous ces dehors de demoiselle heureuse de vivre, Midori endure elle aussi le poids de la perte (celui de sa mère) et de l’absence (père) mais préfère les lunettes de soleil aux larmes de crocodiles. Elle choisit la vie à la différence de Naoko, incarnée par la merveilleuse Rinko Kikuchi (plus connue comme la jeune fille sourde et muette de Babel) qui choisira de rejoindre Kizuki dans la mort plutôt que de le surmonter dans la vie.Si le livre comme le film se plaise à la romance et ne s’engagent à aucune velléité sociale, le réalisme du portrait brossé de la jeunesse japonaise doit cependant faire réfléchir.
Avec un chiffre supérieur à la moyenne mondiale, le Japon compte un des plus fort taux de suicide chez les jeunes, entrainant même ces dernières années un phénomène de suicides collectifs.
Emouvant mais sombre, le film illustre avec force l’insoutenable légèreté de l’existence et marque d’ores et déjà le retour en grâce d’un cinéaste, jadis culte, absent depuis trop longtemps.
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