Le 31 décembre 2019
Tran Anh Hung, cinéaste français d’origine vietnamienne détenteur du Lion d’Or de Venise pour Cyclo en 1994, adapte le roman L’Elegance des Veuves d’Alice Ferney paru en 1995. Un véritable exercice de style aux choix cinématographiques radicaux, mais qui manque globalement sa cible. Dommage.
- Réalisateur : Trần Anh Hùng
- Acteurs : Audrey Tautou, Jérémie Renier, Bérénice Bejo, Mélanie Laurent
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Durée : 2h00mn
- Date de sortie : 7 septembre 2016
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Résumé : Quand Valentine se marie à 20 ans avec Jules, nous sommes à la fin du 19e siècle. À la fin du siècle suivant, une jeune parisienne, l’arrière-petite-fille de Valentine, court sur un pont et termine sa course dans les bras de l’homme qu’elle aime. Entre ces deux moments, des hommes et des femmes se rencontrent, s’aiment, s’étreignent durant un siècle, accomplissant ainsi les destinées amoureuses et établissant une généalogie… une éternité…
Notre avis : Dans un raccourci un peu facile et avec une pointe de mauvaise foi, il serait tentant d’affirmer que le contenu filmique d’Eternité se résume tout entier à des « hommes et des femmes qui se rencontrent, s’aiment et s’étreignent… ». Pourtant, même sans raccourci facile et avec beaucoup de bonne foi, la vérité ne peut qu’éclater sous couvert d’une analyse justement plus approfondie : Eternité est un film d’un vide abyssal. L’œuvre de Tran Anh Hung, à l’instar d’un Terrence Malick nouvelle manière, est porteuse d’une ambition véritablement cosmique et arbore la parure éminemment prétentieuse d’un grand film-concept. Les grandes idées générales en question sont celles du passage du temps et du cycle de la vie, que le cinéaste tente de matérialiser au travers de la succession des histoires d’amour et de deuil qui jalonnent le film d’un point de vue narratif. Idées qu’il tente de concrétiser sur le plan de l’image également, par l’intermédiaire de choix de mise en scène très tranchés.
- ©2016 Nord-Ouest Films
Ainsi, Eternité est un film presqu’absolument dépourvu de dialogues. A l’aide d’une caméra extrêmement souple, qui multiplie de lents travellings et panoramiques d’une grande élégance, Tran tente de capter au plus près le frémissement des corps, lors de leurs déplacements solitaires dans les immenses manoirs et jardins visités au cours du film d’une part, lors de leurs étreintes mutuelles violentes d’autre part. Que les corps se meuvent, se fondent l’un dans l’autre ou adoptent simplement une posture statique méditative, leurs soubresauts sont toujours consécutifs à l’allégresse et/ou au désespoir, dialectique qui structure le film dans son entièreté, épousant le cycle perpétuel des naissances et morts. Ce refus de la scène dialoguée et ce parti pris d’une caméra constamment aux aguets, attentive et sereine, placent d’emblée le film sous les régimes consubstantiels de la contemplation et de la sensation esthétique. Cependant, alors que ces désidératas de mise en scène présentent une certaine logique, d’autres, tout aussi affirmés, viennent dans un second temps complètement contredire les premiers, et donc annihiler les effets désirés à priori par le cinéaste. Tout d’abord avec cette voix off féminine omnipotente, sur-imposante et horriblement explicative, qui dans sa naïveté éthérée, vient redoubler de façon inutilement pléonastique ce que des images très travaillées expriment très bien d’elles-mêmes.
- ©2016 Nord-Ouest Films
Ensuite, par une tendance à la surcharge décorative outrancière, qui fait irrémédiablement basculer les aspérités du film du raffinement classieux à une pure et simple vulgarité prosaïque. Séduisante au départ, la volonté de Tran de faire de chacun de ses plans un tableau de maître définitif finit par lasser. Chaque costume, chaque accessoire, chaque meuble semble avoir été poli et lustré de façon à inonder les pages d’un luxueux magazine de mode de son « éclat » immaculé, strictement artificiel. Même souci dans le rendu de la lumière, où le cinéaste se prend littéralement pour le Kubrick de Barry Lyndon, avec des sources pour la plupart naturelles et la quasi-absence d’éclairage d’appoint. Comme si cette manie esthétisante ne se suffisait pas à elle-même, elle entraîne une conséquence encore plus néfaste pour l’ensemble du film. Le cinéaste était parvenu à réunir un casting féminin des plus talentueux et prestigieux : rien de moins qu’Audrey Tautou, Bérénice Bejo et Mélanie Laurent. Ces actrices ont déjà manifesté à maintes reprises, non seulement un charisme solaire absolument cinégénique, mais également une capacité à exprimer des émotions concrètes avec justesse. Il paraissait donc très difficile de réprimer ces qualités de comédienne : ce qui n’a pas empêcher Tran d’en accomplir l’étonnante prouesse.
- ©2016 Nord-Ouest Films
En effet, par son dispositif de mise en scène synonyme de préciosité et d’affèterie hypertrophiées, le cinéaste est parvenu à complètement étouffer le potentiel aussi bien photogénique qu’émotionnel de ses actrices, les transformant, au choix, en mannequins de défilé de mode (encore) ou en statues de cire, véritables pièces de musée dans leur figement blafard. Par conséquent, il prive son œuvre de toute vibration, de toute sensibilité, de toute chaleur humaine : il est proprement impossible d’éprouver une quelconque empathie pour ces caractères qui apparaissaient pourtant, sur papier, comme du pain béni, riche matière propre à l’édification de superbes portraits de femmes. A l’opposé, Tran les refaçonne en égéries publicitaires : en atteste cette utilisation roublarde du ralenti, qui contribue à créer des plans de visages féminins dont les sourires et les mouvements de chevelure pourraient tout aussi bien apparaître dans des spots télévisuels à l’effigie de Dior ou L’Oréal. Il en est de même pour les (très, trop) nombreux plans de magnifiques bébés, qui ont certainement été castés sur le câble pour la promotion des pampers dans la foulée du tournage. Eternité se révèle donc être au final une œuvre profondément vide de réelle substance et éminemment contradictoire dans ses procédés et ses visées, qui laissera sur le carreau aussi bien le spectateur amateur de contemplation esthétique jouant sur les sensations, que celui qui favorise l’immersion émotionnelle par identification à des personnages forts. Il semblerait que des œuvres aux ambitions philosophiques et métaphysiques affirmées, à l’instar, de nouveau, de celles proposées par Malick, soient condamnées ces derniers temps à faire l’objet d’un traitement inabouti et décevant. Vous êtes prévenus.
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