Poète en culotte courte
Le 5 avril 2015
En pourfendeur d’une société israélienne qu’il juge léthargique et matérialiste, Nadav Lapid oppose, après Le Policier, un second film de résistance. Passionnant et incontournable.
- Réalisateur : Nadav Lapid
- Acteurs : Sarit Larry, Avi Schnaidman, Lior Raz
- Genre : Drame
- Nationalité : Israélien, Français
- Editeur vidéo : Blaq Out
- Durée : 2h00mn / 1h55mn (DVD)
- Titre original : Haganenet
- Date de sortie : 10 septembre 2014
- Festival : Festival de Cannes 2014
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Sortie DVD : le 13 mars 2015
L’argument : Une institutrice décèle chez un enfant de 5 ans un don prodigieux pour la poésie. Subjuguée par ce petit garçon, elle décide de prendre soin de son talent, envers et contre tous.
Notre avis : Depuis quelque temps, le cinéma israélien semble décidé à prendre une certaine distance d’avec la question israélo-palestinienne, sujet jadis incontournable. Préférant ainsi reléguer cette thématique à la marge, les cinéastes orientent notre regard vers d’autres discordes, notamment entre classes et sexes. Ce nouveau réceptacle des angoisses contemporaines, cette nouvelle focalisation des inquiétudes, trouvait peut-être justement son point de départ dans le premier film de Nadav Lapid, Le Policier. Un long métrage époustouflant à travers lequel le réalisateur mettait à mal l’appareil social israélien, qui décrocha d’une part le prix spécial du jury au Festival de Locarno, et faillit en outre faire l’objet d’une censure gouvernementale. De fait, rien d’étonnant à ce que l’on retrouve sensiblement les mêmes penchants dans ce deuxième film de Lapid, L’Institutrice. L’occasion de pointer sous un nouveau jour l’archaïsme, le machisme et l’inhumanité du corps social israélien, le tout via un récit séditieux d’une autorité esthétique et politique sans pareille.
© Haut et Court
Si Le Policier explorait déjà l’un des symboles de la fonction publique, dressant le portrait d’agents de police au cerveau quelque peu désorientés par un trop-plein de testostérone, L’Institutrice aborde cette fois celui de l’enseignante. Une façon pour Lapid de montrer comment le quotidien à l’école - même maternelle - est d’abord le siège d’un endoctrinement idéologique inflexible - axé en l’occurrence sur l’élection du peuple juif. Nira, l’institutrice, qui se voudrait poétesse, découvre un jour qu’un véritable génie, Yoav, se cache parmi les frimousses enfantines de sa classe. Du haut de ses 5 ans, ce chantre en culotte courte récite des poèmes éblouissants, à qui sait y prêter l’oreille. L’enseignante, au départ méfiante et cupide, éprouve bientôt une fascination sans égal, et cherche à s’approprier les strophes de l’enfant. Petit à petit obsédée par ce dernier, elle finit par le considérer comme une sorte de messie rédempteur que la sauvagerie du monde alentour ne fera qu’inéluctablement détruire.
© Haut et Court
Pour mettre en scène la fuite sans issue de ce duo bigarré de personnages, Lapid fait preuve d’une inventivité foisonnante. Alors que les nombreux plans-séquences, mordants et quelque peu émaciés, assoient la puissance impavide du propos comme du cinéaste, des détails consciemment disséminés - comme ce passage où le mari heurte la caméra dans la séquence d’ouverture – viennent intelligemment remettre en question en continu la légitimité de cette prise de hauteur. De brillantes trouvailles qui font de la réalisation de Lapid un ensemble doux amer où la délicatesse n’est jamais très loin de l’âpreté. Difficile de comprendre pourquoi L’Institutrice – véritable ode à la poésie dans un monde où tout n’est que bruit et abrutissement – n’a pas été sélectionné en compétition officielle au dernier festival de Cannes.
© Haut et Court
LE DVD
Après Le policier, Nadav Lapid parvient encore à nous éblouir avec un nouveau rôle féminin magnifique, celui d’une institutrice, qui va développer la fibre poétique d’un garçon de 5mn. Le film est à fort caractère autobiographique. Il a reçu des critiques dithyrambiques et a été suivi par 66.000 spectateurs sur l’ensemble du territoire français. Un beau score pour une œuvre d’art et essai, au premier abord austère pour le grand public.
Les suppléments :
Nadav Lapid, dans un français studieux, évoque ses deux films, Le Policier et L’Institutrice, il compare notamment l’importance de la révolte dans ces deux métrages dont le point commun réside dans des personnages féminins forts. Il évoque l’origine autobiographique du film, l’énorme créativité qui était la sienne entre 5 et 10 ans, son rapport à la poésie qu’il oppose à la salissure... 8 minutes pertinentes.
L’éditeur cinéphile propose également un moyen métrage de 48mn, La petite amie d’Emile, film méconnu et rare du réalisateur, tourné 5 ans avant Le Policier en 2006, avec la comédienne française Caroline Frank, pour un exquis mélange de langues entre le français et l’hébreu. Ce petit film était sorti en salle, en 2008, deux ans après sa présentation à Cannes. Il aborde avec subtilité la complexité des sentiments amoureux et amicaux, dans un triangle amoureux évoquant sans cesse Emile, grand absent dépressif, resté en France, quand sa compagne visite Tel-Aviv en compagnie de son meilleur ami israélien.
L’image :
Copie correcte, mais loin d’être épatante. Le format d’origine, en 1.85, a été respecté, mais on ne peut s’empêcher de penser que le rendu est trop approximatif, sombre dans la scène de discothèque, un peu terne globalement.
Le son :
Proposé en stéréo et en 5.1. DD, le film ne dispose que d’une version originale en hébreu. On regrette l’empreinte diffuse laissée par les voix, l’étouffement relatif du contexte sonore, principalement dû à une captation du son initialement fragile. Rares sont les scènes qui sortent de leurs gonds dans cette ambiance inlassablement intimiste.
L’enjeu du film est de toute façon ailleurs.
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