Le 11 mars 2019
Nadav Lapid met en place un dispositif audacieux sur la base d’un récit inspiré de son propre parcours. Cette œuvre peu consensuelle exerce un réel pouvoir de fascination.
- Réalisateur : Nadav Lapid
- Acteurs : Erwan Ribard, Quentin Dolmaire, Louise Chevillotte, Tom Mercier
- Genre : Drame
- Nationalité : Israélien, Français, Allemand
- Distributeur : SBS Distribution
- Durée : 2h03mn
- Titre original : Synonyms
- Date de sortie : 27 mars 2019
- Festival : Festival de Berlin 2019
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Yoav, un jeune Israélien, atterrit à Paris, avec l’espoir que la France et le français le sauveront de la folie de son pays.
Critique : Nadav Lapid nous avait éblouis avec Le Policier, implacable dénonciation des inégalités sociales dans la société israélienne, et surtout L’Institutrice, récit terrifiant d’une enseignante pensant avoir découvert un petit génie de la poésie et victime des reproches d’une communauté étriquée et ancrée dans ses préjugés. On attendait donc avec impatience son troisième long métrage de fiction, coproduction franco-israélienne tournée à Paris, et qui vient d’être récompensée par l’Ours d’or à la Berlinale 2019. Le réalisateur reste fidèle à sa thématique critique mais cette nouvelle œuvre prend une tournure plus radicale de par le comportement trouble de son personnage principal, les multiples ruptures de ton dans une histoire qui échappe à la simple linéarité, et une mise en scène âpre qui privilégie l’audace et délaisse l’approche consensuelle. Le film est en même temps quelque peu autobiographique puisqu’inspiré du parcours du cinéaste. Après des études de philosophie, Nadav Lapid avait souhaité quitter Israël pour s’installer à Paris, où il a vécu une existence précaire avant d’étudier le cinéma et de trouver sa voie. Le personnage central de Yoav est donc son alter ego, et n’est pas présenté a priori comme un être attachant auquel le public s’identifierait aisément.
- Copyright Guy Ferrandis / SBS Films
Ancien soldat de Tsahal, Yoav débarque à Paris et squatte un appartement vide dont il avait l’adresse avant de se faire voler ses affaires. Nu comme un vers, il demande l’aide de voisins avant d’être secouru par un couple de jeunes bourgeois (Quentin Dolmaire et Louise Chevillotte) qui le bichonnent et entament avec lui un curieux rapport d’amitié et de séduction. Yoav s’est mis en tête de mettre une croix sur son passé israélien : refusant de parler hébreu y compris avec ses compatriotes, explorant les subtilités de la langue française avec un dictionnaire de synonymes, il tente de s’approprier une ville dont il refuse les aspects touristiques. L’une des forces du métrage est de montrer la souffrance de Yoav lorsqu’il réalise que le Paris idéalisé ne correspond pas au fantasme intériorisé, et qu’il ne parvient à s’identifier à aucune terre d’origine ou d’accueil… Dès lors, l’errance mentale et sociale du jeune homme est parallèle à un filmage le montrant déambuler dans les rues de la capitale, avec des plans qui ne sont pas sans évoquer le cinéma de la Nouvelle Vague auquel Lapid est resté attaché : « Nous étions en équipe réduite, l’acteur, le chef opérateur, le preneur de son et moi-même. Cette intimité nous a permis de sentir réellement les choses. Je voulais que ces sentiments, ces tremblements soient ressentis aussi par le corps même de celui qui filme (…) ainsi que par le corps même de la caméra », a déclaré le réalisateur dans le dossier de presse.
- Copyright Guy Ferrandis / SBS Films
Synonymes n’est pas une œuvre confortable et ne saurait être réduite à un pamphlet visant la politique intérieure et militaire des gouvernements israéliens (la question palestinienne n’est d’ailleurs qu’implicitement abordée), ou une charge contre les humiliations subies par les réfugiés et expatriés, même si Nadav Lapid apparaît indiscutablement comme un cinéaste de gauche hostile au nationalisme et aux endoctrinements, de tous bords confondus. L’une des séquences les plus jubilatoires du film est à ce propos celle montrant une formatrice (Léa Drucker) dispensant des cours de civisme pour immigrés souhaitant adopter la nationalité française et leur expliquant notamment le symbolisme du coq. Un pur moment d’ironie surréaliste et d’absurde que n’auraient pas désapprouvé Ionesco ou le Buñuel du Fantôme de la liberté. Synonymes est enfin la révélation d’un grand acteur : Tom Mercer que le cinéaste a découvert dans une école de théâtre dégage un magnétisme et une présence à la fois brutale et vulnérable, expressive et réservée, qui laisse à penser qu’il est destiné à une belle carrière de cinéma.
– Ours d’Or Berlinale 2019
- © SBS Distribution
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.